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Introduction aux Délires.- Le texte des Délires dont vous pourrez lire les épisodes au fil du temps ne sont qu'un prétexte pour illustrer des tournures grammaticales peu usitées et un vocabulaire parfois désuet. Les explications visent à éclairer du mieux possible le lecteur.
L'histoire fantasmatique raconte les pérégrinations d'une jeune fille, la narratrice, qui va chercher à découvrir les mystères du pays où elle est arrivée, sans qu'elle en connaisse ni le pourquoi ni le comment.
Ce matin-là, comme j'errais à travers champs, hagarde et solitaire, un pauvre hère1 à l'agonie s'offrit à ma vue. Ma raison s'égara.
Eussé-je2, par ma foi, proféré mille mots aberrants, émue par ce quidam souffrant les affres de la mort imminente qu'il devait affronter — ah ! le pouvait-il sans coup férir ? — pour achever le cours d'une destinée encombrée d'embûches et de traquenards, je n'eusse pas éructé un millionième de ma pensée.
Plongée dans ces tristes réflexions, que Thanatos n'eût pas démenties, concepts vraisemblablement nés d'un cerveau martyr, je m'en fus, courant, malgré mon pas vacillant, vers le bosquet embaumé de senteurs vernales.
J'observai en passant la nature dardant ses jeunes végétaux qui exhalaient à l'envi leurs parfums enivrants, indicibles, ineffables même, exaltant les sens censés être exacerbés par un renouveau immuable, inéluctable, partant immanquable, et je prononçai leur nom vernaculaire, peu encline à l'esbroufe.
« Ne latinisons point, leur dis-je, sans qu'ils s'esclaffassent. »
Il me fallait rester sur le qui-vive, quand bien même ils m'auraient regardée effrontément en se contentant de se balancer mollement. Saperlipopette ! Serais-je sujette à un anthropomorphisme malvenu ?
« Ne connaissez-vous donc pas le langage hypothétique des fleurs ? » criai-je au cours de ma course effrénée. À quels excès livrai-je ainsi mon ego immodéré !
Je vous prends à témoin, vous qui m'honorez de votre admiration sans faille. Quoi ? J'affabule ? Point ! Je ne fabule mie ! Honni soit qui mal y pense !3
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Titre : Honni soit qui mal y pense
Devise de L'Ordre de la Jarretière, The Most Noble Order of The Garter, ordre de la chevalerie anglais fondé par Édouard III au XVIème siècle.
C'est ainsi qu'en 1347 s'était exclamé Édouard III lorsqu'il avait renoué la jarretière de sa maîtresse, lors d'un bal.
= Honte à celui qui y voit du mal.
1-un pauvre hère. Disjonction, pas d'enchaînement. Littré donne le H aspiré.
2-Eussé-je, prononcer u pas eu
L'orthographe réformée recommande eussè-je
Réforme de l'orthographe - L'orthographe recommandée aux enseignants - Lexique
Quelques internautes amis me disent être surpris par les difficultés qu'ils ont rencontrées lors de la lecture de ce texte. Pour eux, je propose, en guise de résumé, une version simplifiée de cet épisode qui sert d'introduction à l'histoire.
Ce matin-là, comme j'errais à travers champs, je rencontrai un pauvre homme blessé à mort. Il agonisait. L'émotion que je ressentis alors fut telle que j'en perdis la raison. Il s'ensuivit, dans mon esprit bouleversé, une succession de pensées toutes plus folles et extravagantes les unes que les autres.
Je m'adressai aux plantes qui sentaient bon le printemps, je les appelai par leur nom, sans avoir peur du ridicule, et je conversai avec les fleurs.
Je vous assure de ma sincérité, vous qui m'admirez quoi qu'il advienne.
NOTES
Honnir (titre), blâmer en faisant honte.
Eussé-je proféré mille mots aberrants, je n'eusse pas éructé le millionième de ma pensée.
► eussé-je proféré, subjonctif plus-que parfait > même si j'avais proféré mille mots aberrants, je n'aurais pas éructé le millionième de ma pensée.
Fussé-je la pire de toutes, il me choisirait malgré tout.
Dussé-je en mourir, je lutterais jusqu'au bout.
Voir > eussé-je, eussè-je, fussé-je, fussè-je dût-il...
et > même si
proférer, dire quelque chose, ou le dire à haute voix.
On l'entendait proférer des injures contre quiconque s'aventurait à lui adresser la parole, le benêt.
Il ne put proférer un seul mot quand elle lui fit sa déclaration, c'était à n'y pas croire.
mille mots aberrants, absurdes, insensés
je n'eusse pas éructé, subjonctif plus-que-parfait à valeur de conditionnel passé (2e forme) je n'aurais pas éructé (1re forme)
Éructer, roter
verbe transitif direct (il a un complément d'objet direct)
Il éructa des mots insensés.
Il s'emploie aussi intransitivement (sans complément d'objet)
Il éructa.
million, millionnaire
le pouvait-il sans coup férir
Férir, on rencontre ce verbe seulement dans sans coup férir = sans rencontrer de difficultés, sans combattre.
L'adjectif féru est le participe passé de férir
> Férir – sans coup férir – féru(e) – un fier-à-bras, des fiers-à-bras.
une destinée encombrée d'embûches et de traquenards
embûche, vient de bûche (bois) embuscade
Littré : Sorte de guet-apens que l'on dispose pour prendre ou tuer quelqu'un. Dresser des embûches, une embûche à quelqu'un.
ces réflexions que Thanatos n'eût pas démenties
Thanatos, mythologie grecque, dieu de la mort, représenté comme un vieillard barbu soit ailé, soit vêtu d'un manteau noir.
eût démenties, verbe démentir au subjonctif plus-que-parfait à valeur de conditionnel passé (2e forme), n'aurait pas démenties (conditionnel passé 1re forme)
accord du participe passé démenties avec le complément d'objet direct placé avant lui (que, pronom relatif qui remplace l'antécédent réflexions).
>Thanatos n'eût pas démenti ces réflexions.
> Règles de l'accord des participes passés
concepts vraisemblablement nés d'un cerveau martyr
Vraisemblable, invraisemblable, vraisemblance, pas deux SS, un seul.
Voir l'article : Cas où le S ne se prononce pas [z] entre deux voyelles
martyr(e) - adjectif qualificatif
un enfant martyr, une petite fille martyre.
Un martyr, une martyre - substantif
◊ celui ou celle qui a souffert et mort pour sa foi.
Saint Irénée, grec de naissance et évêque de Lyon mourut en martyr.
◊ victime, celui qui souffre ou a souffert physiquement ou psychologiquement.
Un martyre, souffrance ou mort endurée pour une cause, un idéal. Le martyre des premiers Chrétiens.
Par extension, une grande douleur.
Il lui a fait subir un martyre.
Je m'en fus (il s'en fut) je partis, je m'en allai.
Le verbe être signifie parfois aller. Voir la note des Délires n°145
le bosquet embaumé de senteurs vernales
vernal, estival, automnal, hivernal, un adjectif en -AL pour chaque saison !
Vernal, littéraire, à rapprocher de printanier.
qui est relatif au printemps, qui se produit au printemps.
ses jeunes végétaux qui exhalaient à l'envi leurs parfums enivrants
à l'envi, littéraire. À qui mieux mieux.
leurs parfums enivrants, indicibles, ineffables même
Ineffable : inexprimable, indicible avec le plaisir en plus.
exaltant les sens censés être exacerbés
Noter l'allitération des sifflantes s, xs, gz...
Être censé + infinitif = être supposé...
Elle était censée faire son travail ce jour-là.
Différent de être sensé, raisonnable, sage, avoir du bon sens.
C'est une personne sensée qui vous propose ses contes délirants, le croiriez-vous ?
Pour en savoir + voir : Ne pas confondre : feux et feus – sensé et censé – chaos et cahot – efficace et efficient – émotionné et ému - bruire et bruisser
un renouveau immuable, inéluctable, partant immanquable
le renouveau
> locutions adverbiales À NOUVEAU et DE NOUVEAU – nouvellement – une nouvelle - le renouveau ...
partant, littéraire, donc, par conséquent
Les tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Jean de La Fontaine, Les animaux malades de la peste
je prononçai leur nom vernaculaire, peu encline à l'esbroufe
je prononçai leur nom commun parce que je n'aimais pas faire du chiqué
vernaculaire
- langue vernaculaire, langue parlée dans une région, ou par une petite communauté.
- nom vernaculaire, nom d'un animal ou d'une plante, plus commun que celui d'origine savante, latine ou grecque.
enclin, encline
qui a un penchant pour quelque chose
Esbroufe, frime, chiqué, flafla, bluff.
Faire de l'esbroufe, faire le fanfaron.
Vous y allez à l'esbroufe !
Ne latinisons point lui dis-je
Latiniser, transformer un mot en latin, lui donner un air latin.
quand bien même ils m'auraient regardée effrontément
Quand* / quand même / quand bien même / quand bien, conjonction de subordination et locutions conjonctives marquant le temps avec une nuance concessive quand elles sont suivies du conditionnel.
à rapprocher de même si : locution conjonctive introduisant une proposition hypothétique à valeur concessive.
Elle ne ferait rien pour vous, quand bien même elle vous aimerait.
> ... même si elle vous aimait.
Quand bien même vous seriez sincère, elle ne croirait pas un seul mot de ce que vous dites. > même si vous étiez sincère...
Quand même l'eût-il voulu, il ne l'eût pas eu. > Même s'il l'avait voulu, il ne l'aurait pas eu.
Quand vous me haïriez, je vous resterais fidèle. > Même si vous me haïssiez...
MOTS COMMENÇANT PAR EFF
Effrontément : jamais d'accent sur le e précédant ff : eff-
nota bene, alea jacta est, carpe diem, deo gratias...
Les mots latins n'ont pas d'accent. On les écrit en italique lorsque le texte ne l'est pas et vice-versa (vice versa)
Quelques exceptions admises par l'Académie : à priori, à fortiori, à posteriori...
serais-je sujette à un anthropomorphisme malvenu ?
anthropomorphisme, du grec anthropos, homme + morphê, forme.
Ici, voir des choses en leur donnant un caractère humain.
Vous qui m'honorez de votre admiration sans faille
Honorer, honorable (1n), honneur (2n)
Quoi ? J'affabule ? Point. Je ne fabule mie.
Affabuler, entre autres acceptions : en psychologie, arranger la réalité comme on veut qu'elle soit (consciemment ou inconsciemment).
Fabuler, inventer une histoire en la présentant comme vraie.
Voir pour ces deux verbes, que l'on confond souvent, les diverses acceptions que proposent le Trésor (TFLi) et l'Académie sur le site du CNRS : Lexicographie- Centre National de Ressources Textuelles et Littéraires
QUELQUES ADVERBES DE NEGATION PEU USITÉS
Ne... mie, ne... goutte
Ces vieux termes, tombés en désuétude, ont été remplacés par les adverbes de négation ne... pas ou ne... point.
Je ne mange mie, je ne marche pas, je ne vois point, je ne bois goutte.
= Je ne mange même pas une miette, je ne vois même pas un point, etc.
> Je ne marche pas, je ne vois point, je ne mange mie, je ne bois goutte
Aujourd'hui, on n'emploie plus beaucoup l'adverbe ne ... point dans la langue parlée, il a un petit air d'archaïsme.
Ce serait drôle, sinon précieux, de dire : Je ne vous aime point, sachez-le mon ami.
>> 2 Délires schizophrènes - Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse !
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Et si vous aimez les dictées difficiles, n'oubliez pas de vous amuser avec la dictée de Mérimée.
Quand vous aurez lu les 4 premiers Délires vous pourrez faire le QCM – Vocabulaire rencontré dans les Délires 1, 2, 3 et 4.
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