102 Délires sur la satisfaction que produit un travail bien fait - "Tout désir est une illusion..."*
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Ainsi pleuvait-il sur ma modeste personne des félicitations sans mélange ; le plaisir que j'en ressentis fut immense. N'étais-je pas, pour la première fois, reconnue ?
C'était pour moi une sensation délicieuse comparable à celle que me procuraient le boire, lorsque j'avais soif, le manger, lorsque j'avais faim, le dormir, lorsque j'avais sommeil. Un plaisir basique sinon nécessaire que personne encore ne m'avait donné l'occasion de satisfaire, mes pérégrinations ne m'ayant pas octroyé le loisir de me construire une vie sociale, ni d'assouvir l'instinct grégaire auquel seul l'ascète échappe.
Bien que j'en eusse goûté quelques avantages, je n'avais pu m'habituer tout à fait à ma vie errante et sans attaches qui ne m'avait offert jusque-là qu'insécurité et solitude. Ce moment fut d'une douceur qu'il ne m'avait encore jamais été donné de vivre.
J'avais offert à Alcmène mon amitié, j'habitais un lieu confortable, douillet même, mon travail m'épanouissait. Que demander de plus ?
Mais, me direz-vous, comment se pouvait-il qu'un tel état eût pu me suffire ? Vous me connaissez assez maintenant pour me savoir insatiable, et une vie feutrée n'eût point nourri mes aspirations. Quand bien même j'aurais pu calmer mes appétits, il y serait toujours resté quelque soif qu'il eût fallu apaiser.
Le Paradis perdu donne, au désir inassouvi, une amertume qui ne s'adoucira jamais.
« À quoi rêves-tu donc ? s'enquit Alcmène en me voyant si profondément plongée dans mes réflexions. N'es-tu point contente d'avoir su si bien conquérir notre clientèle ?
—La reconnaissance du ventre est éphémère et il faut, pour qu'elle perdure, renouveler les petits plats à chaque fois que l'appétit revient, soupirai-je. »
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*[… ] tout désir est une illusion, mais les choses sont ainsi disposées qu'on ne voit l'inanité du désir qu'après qu'il est assouvi.
Ernest Renan, 1823-1892 . Écrivain, historien, philosophe français,
Histoire des origines du Christianisme (7 volumes), Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse. Etc.
NOTES
Ainsi pleuvait-il des félicitations sans mélange
pures, sans qu'aucune critique négative ne vînt les altérer
Le boire, le manger, le dormir, infinitifs substantivés
mes pérégrinations ne m'ayant pas octroyé le loisir de me construire une vie sociale
Octroyer, donner
l'instinct grégaire auquel seul l'ascète échappe
► On sait que l'instinct grégaire pousse chaque individu à faire partie d'un groupe. Il y a sa place et il établit des relations avec ses congénères. L'homme n'est pas le seul être vivant à posséder cet instinct et bon nombre d'insectes, de poissons, d'oiseaux et de mammifères, dont nous sommes, aiment se retrouver entre eux.
► Un ascète - Sens propre : Celui qui mène une vie austère faite de prières et d'abstinence.
Par extension, celui qui mène une vie austère.
bien que j'en eusse goûté quelques avantages
eusse goûté, subjonctif plus-que parfait
Voir l'article Bien que
quand bien même j'aurais pu calmer mes appétits
Voir Quand - même quand - quand même - quand bien même - quand bien - quand même que
le Paradis perdu donne, au désir inassouvi, une amertume qui ne s'adoucira jamais
Le paradis perdu nous renvoie à un monde inatteignable où régnait une félicité parfaite. Cf. La Génèse, 1er livre de la Bible.
♦ Paradise lost, Le Paradis Perdu, 1667, poème épique, œuvre célèbre de John Milton, écrivain anglais. Traduction de François René de Chateaubriand, illustrations de Gustave Doré.
Les besoins de l'homme
Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l'homme, mais pas assez pour assouvir son avidité.
Mahātmā Ghandhi 1869-1948
Mahātmā signifie en hindi, Grande âme.
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