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Suite du 116 Délires shakespeariens
J'avais mon compte des émotions qui avaient émaillé cette journée. Je ne pouvais continuer à regarder l'horreur d'une scène dont je ne connaissais, hélas ! que trop bien le dénouement. Qui ne le connaît pas ?
Il fallut cependant que, malgré moi, il me revînt en mémoire. Je le vécus en un éclair2.
Un bref instant encore et Juliette se réveillerait, Elle verrait son cher, son pauvre amour, gisant à ses côtés.— Pourquoi le destin s'acharne-t-il ainsi ? La voilà qui pose un baiser désespéré sur les lèvres encore brûlantes. Elle se saisit du poignard de Roméo. Il s'ensuit le geste fatal !
Rejoindre dans la mort celui qui n'avait pu vivre sans elle... pour l'éternité !
Mes larmes jaillirent à l'évocation de la fin tragique de ces deux êtres innocents, victimes de la haine imbécile et criminelle que se vouaient leurs familles. Je pris garde de ne pas inonder le livre qui menaçait de me glisser des mains. Je me ressaisis enfin, et, toute tremblante, je le rangeai précautionneusement à sa place.
N'étais-je pas prise au piège de fantasmagories qui à la fois m'effrayaient et me séduisaient à tel point que je sentais ma raison près de vaciller ? Les livres innombrables qui s'offraient à moi m'attiraient comme les aimants. Devais-je lutter pour me défendre contre cette bibliothèque monstrueuse qui semblait vouloir me capturer pour longtemps ? Je me fis violence et parvins à m'arracher à ce lieu.
Combien de temps étais-je restée là ? Je n'aurais su le dire.
Un sursaut m'ébranla. Je revins à la réalité.
Je dégringolai en vrille l'étage qui me séparait de la sortie.
Le Jardin des Délices n'avait rien perdu de son animation ni de son éclat3. De multiples lampadaires éclairaient les allées, et les fontaines prodiguaient leurs lumières dans leurs eaux qui explosaient dans la nuit.
Mon regard chercha Alcofribas, mais le temps avait dû paraître trop long à mon tendre ami — devais-je vraiment l'appeler ainsi ? Il ne m'avait pas attendue. Je défroissai mon amour-propre dont je m'étonnai de découvrir l'existence.
C'est alors que je sentis une masse mouvante qui se pressait contre mes jambes.
« Ton amour-propre n'a pas lieu de se froisser. Celui auquel tu penses n'en vaut pas la peine, jappa Prétatou avec des accents de chacal en colère »4
Il avait surgi brusquement à mes côtés, mon fidèle Prétatou, toujours soucieux de ma protection. Mais je haussai les épaules et tapotai doucement sa tête, beaucoup trop pensante à mon goût. S'était-il impatienté à m'attendre au point de vouloir me punir, ou bien laissait-il paraître sa jalousie ?
Mais dites-moi donc, quel crédit donnerais-je à un chien jaloux ?
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*1-Le Cadavre exquis, jeu surréaliste. Voir la règle du jeu dans les notes.
2-La mort de Juliette, - Roméo et Juliette de Shakespeare,
3-cf. Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat.
George Sand
Voir les notes ci-dessous.
4-Décrire les passions n'est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère.
Isidore Ducasse, dit comte de Lautréamont, Poésies (1870)
Remarque :
Gnoméo et Juliette n'ont pas dit leur dernier mot. Personnages éponymes du film qui sort sur nos écrans cette semaine.
NOTES
la voilà qui pose un baiser...
elle se saisit du poignard
il s'ensuit le geste fatal (verbe s'ensuivre)
présent employé dans le texte au passé pour rendre les actions plus vivantes.
je sentais ma raison près de vaciller
Près de - Prêt à - Ne pas confondre
> Ne pas confondre : sortir, assortir, ressortir intrans. ou trans. indirect- quelquefois, quelques fois – davantage, d'avantage – bientôt, bien tôt – sitôt, si tôt - près de, prêt à
Je suis près de partir, je suis sur le point de partir
Je suis prêt à partir, je me suis préparée.
Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat
Phrase qu'on peut lire dans le roman policier Le mystère de la Chambre jaune de Gaston Leroux (1907-1908). Elle deviendra une citation culte pour les surréalistes qui en feront un de leurs papillons.
Elle s'inspire d'une phrase de George Sand dans une lettre à Marcie :
Le presbytère n'a rien perdu de sa propreté, ni le jardin de son éclat.
Vu sur l'article d'André Breton
> Le surréalisme est à la porte de tous les inconscients
11 octobre 1924
« Un Bureau des recherches surréalistes s'est ouvert au 15 de la rue de Grenelle et son but initial est de recueillir toutes les communications possibles touchant les formes qu'est susceptible de prendre l'activité inconsciente de l'esprit. Ce bureau, devant le nombre de curieux et d'importuns qui l'assiègent, force est assez vite de le fermer. » Entretiens, 1952
Les papillons surréalistes sont de petits écrits énigmatiques, aphorismes, citations, jeux de mots, tracts publicitaires etc.
En voici quelques-uns :
Le surréalisme est à la portée de tous les inconscients.
"On ne saurait rien attendre de trop grand de la force et du pouvoir de l'esprit." Friedrich Hegel
Le surréalisme, c'est l'écriture niée.
Vous qui ne voyez pas, pensez à ceux qui voient.
"Ariane ma sœur ! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ? " Phèdre, Racine.
Le parapluie du chocolat est dédoré. Trempez-le dans la porte et nattez.
"Après des tentatives réitérées pour saisir l'idée de triangle, j'ai constaté qu'elle était tout à fait incompréhensible." Berkeley
Parents ! racontez vos rêves à vos enfants.
Ouvrez la bouche comme un four il en sortira des noisettes.
Si vous aimez l'Amour vous aimerez le Surréalisme
Vous qui avez du plomb dans la tête, fondez-le pour en faire de l’or surréaliste
Le Surréalisme vous cherche, vous cherchez le surréalisme.
Jeu surréaliste
Le cadavre exquis est un jeu inventé par les surréalistes et auquel vous pouvez vous livrer avec délectation si tant est que vous ayez un peu de fantaisie. Apprenez-le aussi à vos enfants.
Règle du jeu
Chaque participant écrit un mot ou un groupe de mots selon l'ordre SUJET, VERBE, COMPLEMENT, mais sans savoir ce que les autres ont écrit. On découvre les feuilles de chacun, et la phrase abracadabrante est ainsi obtenue.
Le cadavre - exquis - boira - le vin - nouveau.
Telle en fut la première phrase !
Participèrent à ce jeu Yves Tanguy, Marcel Duhamel, Jacques Prévert, Benjamin Peret, Pierre Reverdy, André Breton, et Frida Kahlo, Max Morise, Joan Miró, Man Ray, Simone Collinet,
Tristan Tzara, Georges Hugnet, René Char, Paul Éluard, Nusch Éluard et Henry Miller.
Pour en savoir plus sur d'autres jeux voyez l'article : Des Jeux à faire entre amis
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jappa Prétatou avec des accents de chacal en colère
Le chacal jappe
Le chiot jappe
Le chien aboie
Les chiens jappent souvent en dormant ; et, quoique cet aboiement soit sourd et faible, on y reconnaît cependant la voix de la chasse, les accents de la colère, les sons du désir ou du murmure.- Buffon, Nature des animaux.
Si vous voulez en savoir davantage sur le cri des animaux, revenez au QUIZ 3 Délires pour un bestiaire texte 15
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