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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 07:16

LES DÉLIRES Tous les épisodes

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Bien que le contact du corps de Prétatou me prodiguât quelque chaleur, l'air froid du petit matin se fit sentir et le chant de l'alouette finit par me réveiller tout à fait. Je caressai doucettement mon chien pour le ravir des bras de Morphée.

Il s'étira mollement. J'étais accoutumée à le voir bondir le matin à son réveil et je fus étonnée qu'il fût si long à se mettre sur ses pattes.

« Ah ! geignit-il, il est trop tôt pour poursuivre notre périple. J'ai bougrement envie de disposer de quelques heures encore. Et je m'en vais, de ce pas, resommeiller. »

Je le poussai hors de la couverture et l'intimai de m'obéir, mais sans le brusquer trop.

« N'as-tu pas entendu le chant de l'alouette ? lui dis-je, alors qu'il tentait de se réfugier à nouveau sur la couche rustique. Il est temps de reprendre la route.

Veux-tu donc partir ? me demanda-t-il naïvement. Le jour n'est pas proche encore : c'était le rossignol et non l'alouette dont la voix perçait ton oreille à l'affût. Crois-moi, Oli, c'était le rossignol.
—C'était l'alouette, la messagère du matin, et non le rossignol. Regarde, Prétatou, ces lueurs naissantes qui dentellent le bord des frondaisons ! Les flambeaux de la nuit que l'on devinait sans les apercevoir à travers les feuillages sont éteints, et le jour joyeux se dresse sur la pointe du pied jusqu'au sommet des arbres. Nous devons partir. Il n'est plus temps de tergiverser.* »

Me voyant inflexible, il chercha d'autres arguments.

« Aïe, aïe ! Ne crains-tu pas d'aggraver mon gonarthrocace ? De quoi me sert ton amitié ?

Ah, voilà qui est nouveau ! m'exclamai-je. Qu'inventes-tu donc là ? Voudrais-tu m'en faire accroire ? T'ai-je jamais vu traîner la patte ? Allez, debout ! En route ! Nous grignoterons quelques biscuits sur le chemin et je sais quelques sources claires qui nous abreuveront. »

Prétatou, à son corps défendant, s'apprêta enfin à me suivre.

J'eus tôt fait de secouer énergiquement la couverture à laquelle s'étaient accrochés quelques aiguillons d'épineux et je la fourrai dans mon balluchon (baluchon).

 

Notre marche fut quelque temps silencieuse mais rien ne nous empêchait de réfléchir à notre situation — peu confortable, reconnaissons-le. Qu'adviendrait-il de nous ?

L'air vibrait de mille chants et nous reconnaissions leurs auteurs joyeux qui gringottaient, gazouillaient, sifflaient, babillaient ou zinzinulaient. Le balancement rythmé de la queue de mon chien me signifia qu'il en avait pris son parti.

 

« Oli, me dit-il, je m'interroge. Aurais-tu l'art de mnémomiser ? Je ne t'ai point vue un seul instant hésiter sur la direction à prendre. Comment fais-tu pour reconnaître ton chemin dans cette forêt inextricable, dis-moi. Ta mémoire, ma chère maîtresse serait-elle donc eidétique ?

Que nenni, hélas ! Tout un pan de ma vie a fui comme vapeur. Mais cette forêt m'est familière et ses bruits et ses senteurs me servent de jalons. Vois ce ru qui serpente et nous offre son eau généreuse. Je sais qu'elle s'est parfumée de serpolet au fil de sa course joyeuse pour nous être agréable. Arrêtons-nous là pour la boire, puis nous goûterons aux dernières airelles bleues de la saison. Vois comme ces fruits indéhiscents gardent jalousement leurs graines jusqu'au printemps prochain.

À moins qu'un promeneur égaré ne vienne les croquer, ajouta fort justement Prétatou. Quand je songe, reprit-il que nous sommes ici pour rendre visite à une vieille houhou capable du pire, j'en tremble par avance.

Plût à Dieu qu'elle n'ait pas une oreille assez fine pour t'entendre, pensai-je à part moi.

Ton âme est forte et imployable, poursuivit Prétatou, Je m'étonne toujours de ton don quichottisme (don-quichottisme).

 —Et moi je ne m'étonne plus que tu t'en étonnes. Tu me l'as fait maintes fois savoir. À quoi bon m'en rebattre les oreilles. Veux-tu ainsi m'abalourdir, à ressasser toujours ?

 —Je crains que tes chimères ne soient près de nous faire courir un grand danger.

Certes, nous nous mouvons dans la plus pénétrante obscurité de l'avenir, mais le courage n'est-il pas la lumière de l'adversité** ? »

...............................................................................

*« N'as-tu pas entendu le chant de l'alouette ?... Il n'est plus temps de tergiverser. »

Pastiche de l'oeuvre de Shakespeare, Roméo et Juliette, publié en 1597.

Acte III, scène 5

Roméo et Juliette viennent de passer leur nuit de noces et Roméo doit partir sinon il risque la mort.

JULIET

Wilt thou be gone? it is not yet near day:
It was the nightingale, and not the lark,
That pierced the fearful hollow of thine ear ;
Nightly she sings on yon pomegranate-tree :
Believe me, love, it was the nightingale.

ROMEO

It was the lark, the herald of the morn,
No nightingale: look, love, what envious streaks
Do lace the severing clouds in yonder east :
Night's candles are burnt out, and jocund day
Stands tiptoe on the misty mountain tops.
I must be gone and live, or stay and die.

Traduction

JULIETTE

Veux-tu donc partir ? le jour n'est pas proche encore : c'était le rossignol et non l'alouette dont la voix perçait ton oreille craintive. Toutes les nuits il chante sur le grenadier là-bas. Crois-moi, amour c'était le rossignol.
ROMÉO

C'était l'alouette, la messagère du matin, et non le rossignol. Regarde, amour ces lueurs jalouses qui dentellent le bord des nuages à l'orient ! Les flambeaux de la nuit sont éteints, et le jour joyeux se dresse sur la pointe du pied au sommet brumeux de la montagne. Je dois partir et vivre, ou rester et mourir.
JULIETTE

Cette clarté là-bas n'est pas la clarté du jour je le sais bien, moi ; c'est quelque météore que le soleil exhale pour te servir de torche cette nuit et éclairer ta marche vers Mantoue. Reste donc, tu n'as pas besoin de partir encore.

 

**« Le courage est la lumière de l'adversité. »

Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues,1715-1747.

 

NOTES

Bien que le contact du corps de Prétatou me prodiguât quelque chaleur

prodiguât, subjonctif imparfait de prodiguer (donner généreusement, sans compter)

subjonctif après la locution conjonctive > Bien que

imparfait parce que le récit est au passé

 

Je caressai doucettement mon chien pour le ravir des bras de Morphée

doucettement, très doucement.

ravir, enlever de force

Morphée, dieu du sommeil, fils d'Hypnos, lui-même frère de Thanatos

 

Ah ! geignit-il

passé simple du verbe geindre – gémir, se plaindre, se lamenter.

 

J'ai bougrement envie de disposer de quelques heures encore

bougrement, langage familier - extrêmement, diablement.

> Peut-on dire : J'ai très envie, très plaisir, très peur, très faim, très sommeil... – Cela me fait très envie, très plaisir, très peur... ?


Je m'en vais, de ce pas, resommeiller

Resommeiller, sommeiller de nouveau.

Le s n'est pas doublé.

 

ne crains-tu pas d'aggraver mon gonarthrocace

La gonarthrocace : Terme de médecine. Inflammation ou, plutôt, maladie des surfaces articulaires du genou. Littré

OU gonarthrose

 

De quoi me sert ton amitié ?

Servir, être utile.

Servir de est rare. On dirait aujourd'hui plutôt : À quoi me sert ton amitié ?

Cela ne sert de rien, cela ne sert à rien.

> Verbes qui se construisent avec à + infinitif ou de + infinitif

 

Voudrais-tu m'en faire accroire ?

En faire accroire à quelqu’un : essayer de tromper quelqu’un par des mensonges.

Dictionnaire de Furetière : accroire. Faire croire à quelqu'un une chose fausse. La pluspart du peuple est si sot, qu'on lui fait accroire tout ce qu'on veut.

> Les verbes défectifs - Pour peu qu'il vous en chaille !

 

T'ai-je jamais vu traîner la patte ?

Jamais, adverbe de temps employé sans négation

> Jamais, ne jamais, jamais plus, au grand jamais, à jamais, si jamais, oncques...

 

leurs auteurs joyeux qui gringottaient, gazouillaient, sifflaient, babillaient ou zinzinulaient.

Le rossignol chante, gringotte, quiritte et trille, la corneille babille, corbine, graille, criaille et craille, la fauvette zinzinule.

> 15 Délires pour un bestiaire. QUIZ 3 - Ces animaux qui nous parlent - Animals are such agreeable friends

 

nous goûterons aux dernières airelles bleues...

goûter à quelque chose, manger une certaine quantité de quelque chose.

 

à moins qu'un promeneur égaré ne vienne les croquer...

> NE explétif - Quand peut-on l'employer ? - sans que je (ne) - avant que je (ne) - je crains que tu (ne) - j'empêche que tu (ne) - je m'attends à ce que tu (ne) - je ne nie pas que tu (ne)...

 

Vois comme ces fruits indéhiscents gardent jalousement leurs graines...

indéhiscent, se dit d'un fruit qui ne libère pas ses graines.

 

j'en tremble par avance

à l'avance, d'avance, locutions adverbiales, avant le moment prévu.

 

une vieille houhou capable du pire

Littré, houhou : Terme burlesque. Vieille houhou, personne décrépite et grondeuse.

Vieille houhou, vieille haha, SCARRON,Poésies, cité dans RICHELET.

Elles sont plus noires que des taupes, plus laides que des guenons, plus sottes que des houhous, CHAPELAIN, Trad. de Guzm. d'Alfar. cité dans SCHELER.

Voudrais-tu que je prisse une vieille houhou ? Partisan dupé, dans LE ROUX.

Dict. comique. XVIe s. Houhou [vieille sorcière], Dict. Oudin 

 

Plût à Dieu qu'elle n'ait pas une oreille assez fine pour t'entendre, pensai-je à part moi.

Plût à Dieu/plaise à Dieu, voir le subjonctif optatif, §29 dans > Valeurs et emplois du subjonctif

Littré, À part moi, à part soi, locution adverbiale.

Seul. Quand je suis à part moi, souvent je m'étudie. [Régnier,Satires]

En moi-même, en soi-même, tacitement. Je disais à part moi : las ! mon Dieu ! qu'est ceci ?[Régnier,Dial.]

 

Ton âme est forte et imployable.

Imployable, inflexible, qui ne se laisse pas fléchir.

Sens propre, qui ne peut se ployer.

Je croyais cette barre de fer imployable, mais le magicien en est venu à bout. 

 

Aurais-tu l'art de mnémomiser ?
Mnémomiser (néologisme) rendre mnémonique, facile à retrouver par la mémoire.

Entrée : Néologisme dans le Littré [extrait] Par abus, synonyme de néologie. Il y a un néologisme nécessaire qui provient des nouvelles créations dans les idées et dans les choses.

 

Ta mémoire, ma chère maîtresse serait-elle donc eidétique ?

La mémoire eidétique ou mémoire absolue ou hypermnesia est une faculté exceptionnelle, celle de pouvoir se souvenir des objets, des images et des sons dans les moindres détails.

 

Je m'étonne toujours de ton donquichottisme.

Littré, Don Quichottisme : Folie du Don Quichotte, habitude ou manie de soutenir, à tort et à travers, quelquefois même par les armes, la justice, la vertu, les bonnes moeurs, etc. C'est du don-quichottisme tout pur. S'adresser à l'amant [pour sauver la vertu de la femme] avait un caractère de don-quichottisme par trop ridicule, CH. DE BERNARD, Un acte de vertu.

 

Et moi je ne m'étonne plus que tu t'en étonnes.

Reprise de étonne, la répétition marque l'ironie.

À quoi bon m'en rebattre les oreilles.

> Ne pas confondre : alcoolique, alcoolisé – rabattre, rebattre - amener, apporter – geai, jais - jadis, naguère – plutôt, plus tôt

 

Veux-tu ainsi m'abalourdir, à ressasser toujours ?

Littré. Abalourdir (populaire) rendre balourd, hébété.

ressasser palindrome (on lit le mot à l'endroit et à l'envers).

> Palindrome - Ésope reste ici et se repose

 

je crains que tes chimères ne soient près de nous faire courir un grand danger 

Ne pas confondre : sortir, assortir, ressortir - quelquefois, quelques fois – davantage, d'avantage – bientôt, bien tôt – sitôt, si tôt - près de, prêt à

 

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