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« Voudrais-tu que mon âge, avant le temps, par tes questions, s'envieillisse ? » gronda Marie Cratère.
À peine m'étais-je remise de mes émotions, et Marie Cratère de la jouissance inespérée qu'elle avait eue à me porter secours — elle croyait à présent que la gratitude que j'aurais pour elle ferait de moi son esclave — que je saisis l'occasion de lui demander pourquoi elle s'était donné la mission de venir au secours de ses semblables, dans quelque bourbier qu'ils se fussent fourrés.
Mais elle fuyait toutes les questions comme la peste et m'envoya sur les roses° comme tu viens de l'entendre, cher lecteur.
Elle était toujours le contraire de ce à quoi je m'attendais.
J'insistai avec toute la douceur dont je fus capable, sachant bien qu'elle ne pouvait être insensible aux flatteries qu'elle prendrait forcément pour des compliments. Mine de rien, n'en était-elle pas friande ? Je l'eusse parié.
« Marie, j'ai vu, dans la forêt, des pauvres gens, hagards et terrorisés, qui s'enfuyaient et se cachaient ; toi qui es sensible à la détresse humaine, et qui exerces ton art dans le dessein de guérir toutes les maladies de tes semblables, dis-moi Marie, dis-moi pourquoi ils se dérobaient ainsi aux yeux du monde, pourquoi ils ont quitté leur cité pour cette forêt inhospitalière, et pourquoi ils se terrent dans des trous.
—Mes semblables ! Tu as dit mes semblables, ricana-t-elle. Ma pauvre fille, tu ne sais pas de quoi tu parles ! »
Qu'avais-je donc espéré qu'il fût possible de savoir ? Après l'aide si précieuse que m'avait apportée Marie Cratère, je crus que nos relations seraient au beau fixe, quelque temps pour le moins. Ne l'avais-je pas comblée en m'efforçant de lui être agréable et en accédant à ses désirs ? Et voilà qu'à cet instant, elle me tenait des propos qui m'ôtaient tout espoir de recevoir des réponses claires sur les sujets qui me tenaient à coeur. Peut-être tarderais-je encore longtemps de les connaître.
L'ardeur que j'avais mise à lui obéir aurait-elle jamais aucun effet sur son coeur ? Je me demandais ce qui lui plairait que je pusse faire pour la fléchir un jour, et combien il me faudrait attendre encore pour arracher d'elle quelque chose qui pût me satisfaire.
Pour tout réconfort — qui diable l'eût cru ? — je dus me contenter d'avaler une écoeurante ripopée. Je n'osai en laisser la moindre goutte de peur de froisser mon hôte. Après avoir sauvé ma vie, la vieille Marie ne me ménageait guère et me faisait bien sentir que rien, entre nous n'avait changé.
Elle ne m'approuvait pas mais il n'était point l'heure pour elle de me chanter la palinodie°. Elle resta longtemps silencieuse, m'observant de ses petits yeux bordés d'écarlate. Je n'eusse point connu Marie, elle m'eût donné sur les nerfs°. Mais je tâchais à rester patiente.
Prétatou, après s'être senti bien inutile de n'avoir pu me porter secours, s'était livré sans mesure aux ébattements quand il m'avait vue saine et sauve. Sa joie fut de courte durée. Il miaula, pour faire diversion, l'atmosphère s'appesantissant de minute en minute.
« Qu'entends-je que ton cador murmure ? Ose-t-il s'immiscer dans nos affaires ? » rugit la vieille qui déversa sur lui son humeur querelleuse.
Elle aurait bien voulu donner du balai° mais elle doutait que je fusse restée chez elle, si d'aventure elle s'en fût prise à mon chien.
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*Titre : Le soleil est nouveau chaque jour. Aristote, Météorologiques
NOTES
Titre : les agissements ambigus de Marie Cratère
au singulier, ambigu, ambiguë (féminin, ambiguë d'après la nouvelle orthographe)
ambigu, flou, équivoque, qui peut avoir plusieurs interprétations.
adverbe, ambigument.
Voudrais-tu que mon âge, avant le temps, par tes questions s'envieillisse ?
Envieillir, s'envieillir, envieilli
Littré
♦ envieillir 1 devenir vieux 2 faire paraître vieux
♦ s'envieillir, Devenir vieux. Mon âge, avant le temps, par mes maux s'envieillit. [Régnier, Élégies]
♦ envieilli, 1 devenu vieux
2 Fig. Qui a contracté par le long temps quelque habitude bonne ou mauvaise. Les pécheurs les plus envieillis. [Pascal, Les provinciales]
3 invétéré, en parlant des choses. Une haine envieillie en un coeur déloyal. [Tristan, La Mort de Chrispe]
À peine avais-je eu le temps de me remettre
inversion fréquente du sujet après les locutions à peine, ainsi, aussi, peut-être...
la jouissance inespérée qu'elle avait eue à me porter secours — Elle croyait à présent... —
♦ le participe passé eue s'accorde avec le complément d'objet direct que (antécédent mis pour jouissance) puisqu'il est placé avant lui.
> Règles de l'accord des participes passés
♦ le rôle du tiret dans une phrase ; doit-il être double ?
> Ne pas confondre : trait d'union et tiret
pourquoi elle s'était donné la mission de venir porter secours à ses semblables
pas d'accord avec le participe passé donné ; le complément d'objet direct la mission se trouve après le participe du verbe pronominal se donner ; le pronom réfléchi élidé S' (SE) est complément d'objet second (indirect)
> Qu'est-ce qu'un verbe pronominal réfléchi, réciproque, subjectif... ? + QUIZ 32 Accord du participe passé des verbes pronominaux
dans quelque bourbier qu'ils se fussent fourrés
♦ quelque... que, locution conjonctive de concession > Quelque... que
fussent subjonctif imparfait
♦ Académie 8e édition, bourbier
Lieu creux et plein de bourbe (fange, boue). S'engager, entrer, tomber dans un bourbier. Se tirer d'un bourbier. Fig. et fam., Se mettre dans un bourbier, S'engager dans une mauvaise affaire. Il s'est mis dans un bourbier d'où il aura peine à se tirer.
envoyer sur les roses°, expression familière, se dit cavalièrement à quelqu'un dont on veut se débarrasser.
envoyer paître, envoyer se faire voir, envoyer au diable, aller voir ailleurs si j'y suis,
Elle était toujours le contraire de ce à quoi je m'attendais.
Emploi de quoi : pronom neutre interrogatif qui peut avoir pour antécédent ce, rien, quelque chose, autre chose.
Devinez ce à quoi je pense, ce dans quoi je vis, ce avec quoi je travaille, ce dans quoi je m'embourbe, ce sur quoi je marche. Je n'ai rien à quoi me rattacher ni quelque chose à quoi tenir...
elle fuyait toutes les questions comme la peste
> Comparaisons – léger comme... méchante comme... long comme... nu comme... sourd comme... solide comme... ronfler comme... sauter comme... battre comme... jurer comme... menteur comme... QUIZ 52
mine de rien, sans en avoir l'air.
toi... qui exerces ton art dans le dessein de guérir...
> Peut-on dire "dans quel but ? dans le but de... " ?
je l'eusse parié
subjonctif plus-que parfait à valeur de conditionnel, conditionnel passé.
je l'aurais parié
Qu'avais-je donc espéré qu'il fût possible de savoir ?
Fût, subjonctif imparfait
cas où le verbe espérer est suivi du subjonctif > Espérer que - J'espère que, je n'espère pas que, espérez-vous que - Prendre garde que - Inutile que - Prendre garde que, à ce que - Faire attention que, à ce que + subjonctif ou indicatif ?
Je me demandais ce qui lui plairait que je pusse faire
-Ce qui, ce que, pronoms interrogatifs dans l’interrogation indirecte, jouent le rôle de locutions pronominales interrogatives :
Interrogation directe : Qu'est-ce qui te plaira ?
indirecte :Je demande ce qui te plaira.
au passé : je me demandais ce qui te plairait.
De même avec ce que
Que dit-elle ? Je ne sais pas ce qu'elle dit - Je ne savais pas ce qu'elle disait.
-Pronoms relatifs sans antécédent : Je ne pouvais pas lui dire : « Ce qui m'est odieux, Marie, c'est ton hypocrisie. » la relative ce qui m'est odieux est sujet réel de est dans c'est ton hypocrisie.
Elle est odieuse, ce qui me rend nerveuse - Dans ce cas ce qui remplace la proposition précédente, il est sujet de rend.
Ce que tu me demandes est inadmissible. Ce que est complément d'objet direct de demandes.
Peut-être tarderai-je encore longtemps de les connaître.
Tarder de ou tarder à
tarder de, littéraire.
> Verbes qui se construisent avec à + infinitif ou de + infinitif
quelque chose qui pût me satisfaire
subjonctif dans une proposition subordonnée relative contenant une idée de conséquence
Qui diable y eût cru ?
Qui diable aurait cru à un quelconque réconfort ?
Je dus me contenter d'avaler une écoeurante ripopée
Littré, ripopée :
Terme familier et de mépris. 1-Mélange que les cabaretiers font des différents restes de vin. Ce n'est que de la ripopée. 2-Mélange de différentes sauces, de différentes liqueurs. Quelle ripopée faites-vous là ? 3-Fig. et familièrement. Ouvrage, écrit composé d'idées communes, incohérentes, etc.
Mon hôte
♦ une hôte ou une hôtesse, celle qui reçoit.
Une hôte, celle qui est reçue.
♦ mon au lieu de ma pour éviter l'hiatus, le h de hôte étant muet.
> L'euphonie - Emploi des lettres euphoniques pour éviter l'hiatus – Vas-y ET Va y comprendre quelque chose ! – Va-t'en OU Va-t-en ?
> La liaison - L'élision - L'enchaînement - La disjonction
Avoir les yeux bordés d'écarlate°
Locution vieillie, avoir les yeux rouges, enflammés.
Chanter la palinodie°, locution, au sens figuré, désavouer ce qu'on a dit auparavant.
Rappelle-toi, lecteur, toi qui suis les aventures d'Oli depuis si longtemps, Marie Cratère aime Oli, elle l'aime avec passion, quoiqu'elle lui fasse subir continûment des vexations et des mauvais traitements.
Je n'eusse point connu Marie, elle m'eût donné sur les nerfs°.
♦ Donner sur les nerfs (à quelqu'un)°, expression familière, l'irriter.
♦ Je n'eusse point connu Marie, subjonctif plus-que-parfait à valeur de conditionnel passé > je n'aurais point connu Marie...
je tâchais à rester patiente
♦ noter la préposition, tâcher à + infinitif (littéraire et vieilli)
> je m'efforcerai à rester patiente
Plus couramment tâcher de
♦ autre sens de tâcher, s'occuper.
> Verbes qui se construisent avec les prépositions à ou de suivies d'un infinitif
Prétatou s'était livré sans mesure aux ébattements
ébattement, action de s'ébattre pour manifester sa gaieté.
Qu'entends-je que ton cador murmure ?
cador, mot qui vient de l'arabe > argot pour chien
Ni l'Académie ni le Trésor n'admettent le mot.
Elle aurait bien voulu donner du balai° mais elle doutait que je fusse restée chez elle si d'aventure elle s'en fût prise à mon chien.
♦ donner du balai° s'en débarrasser
♦ elle doutait que je fusse restée
> Douter que, se douter que / Je doute que, nul doute que, il n'est pas douteux que... Je me doute que, il ne se doute pas que... + indicatif ou subjonctif ?
♦ si elle s'en fût prise à mon chien
Cf. Académie (8e édit.) S'en prendre à quelqu'un, Lui attribuer quelque faute, vouloir l'en rendre responsable, lui en donner le tort. On s'en prend à moi, comme si j'étais pour quelque chose dans cette affaire.
> les modes employés après la conjonction de subordination si
Si + indicatif, subjonctif, quel mode choisir ?
> À savoir : le conditionnel n'est plus considéré comme un mode, ses temps font partie de l'indicatif.
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