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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 10:40

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Je me levai tard le lendemain. Je savais que, dans ce pays bien étrange s'il en fut, la coutume requérait de ne travailler que trois heures par jour. Je supposais que des revendications sociales avaient fait leur oeuvre dans un cadre économique suffisamment confortable. Tout juste de quoi ne pas perdre la main pour préserver le précieux savoir-faire acquis depuis des temps immémoriaux dans toutes les activités humaines, encore que certaines se fussent déjà envolées de longue date, les fils n'ayant pas voulu embrasser la profession des pères.

On ne parlait plus depuis belle lurette d'aboyeurs (les taxis n'exigeaient point qu'on les hélât), d'affineurs (les cordes étaient devenues synthétiques), d'afoireurs (on savait les nouvelles par des médias divers), ni d'allumeurs de réverbères (il était d'usage que la Fée Électricité se chargeât d'éclairer les rues). Quant aux apothicaires...

 

Ma charmante patronne entra pour me réveiller.

« Alcmène, » demandai-je après lui avoir souhaité un bonjour sincère, pourriez-vous m'indiquer une pharmacie pour...

Une pharmacie ? Ce mot est ici hors d'usage Si un mal quelconque a eu l'audace d'agresser votre corps ou votre âme, courez vite au Château pour vous y faire soigner.

Au château ? l'interrogeai-je interloquée.

Mademoiselle Marisa-Loup de Saint-Ange* se fera un devoir de vous...

Marisa-Loup ! Je l'avais oubliée ! Est-elle donc châtelaine... et pharmacienne de surcroît ?

Elle l'est.

Dites-moi deux mots d'elle. Savez-vous qu'elle connaît Marie Cratère ? Je l'ai vue en visite il y a peu.

Tout s'éclaire ! s'étonna mon interlocutrice comme frappée d'une révélation incroyable.

Expliquez-vous !

C'est trop risqué. Venez donc dans ma chambre aveugle et insonorisée. »

....................................................................

*Marisa-Loup de Saint-Ange, descendante de Marisa-Louisa de Saint-Ange. Voir le conte en abyme texte n° 44 : Le Bal de Madame de Saint-Ange.

 

NOTES

Le pays de cocagne est un lieu imaginaire ou le bonheur est roi.

 

la coutume requérait de ne travailler que trois heures par jour

requérir, acquérir, quérir.

quérir, verbe défectif qui ne s'emploie qu'à l'infinitif.

Pour en savoir plus sur les verbes défectifs voir l'article : Les verbes défectifs

 

un cadre économique suffisamment confortable 

suffisamment, voir Les adverbes en -MENT

 

le précieux savoir-faire acquis depuis des temps immémoriaux

des temps immémoriaux, dont on a perdu la mémoire, il y a très longtemps.

Mots commençant par le préfixe in (im-, ir-, il-) voir note du texte 4

 

encore que certaines se fussent envolées de longue date.

verbe au subjonctif plus-que-parfait

Encore que, bien que, quoique, locutions conjonctives et conjonction de concession ou d'opposition. Elles sont suivies du mode subjonctif.

> Conjonctions de sub. et locutions conjonctives classées : cause conséquence but temps condition comparaison concession exception proportion manière conformité supposition addition alternative

Pour en savoir plus sur le subjonctif : 

Récapitulation des articles sur le subjonctif

 

On ne parlait plus depuis belle lurette

depuis belle lurette, depuis longtemps, il y a belle lurette...

Belle lurette vient de la métanalyse de l'expression belle heurette (petite heure).

 

LA MÉTANALYSE, mauvaise interprétation du découpage des sons des mots, ce qui donne des mots nouveaux.

Exemple : Il avait une mine pas tibulaire mais presque. (au lieu de patibulaire) Coluche

On peut rapprocher cette distorsion lexicale de la paronymie (qui est proche de l'homonymie ou de l'homophonie) dans des expressions comme parler comme une vache espagnole au lieu de parler comme un Basque l'espagnol – être fier comme bar tabac, au lieu de être fier comme Artaban – avoir une voix de centaure au lieu de Stentor...

Soit on peut jouer avec cette tournure particulière, soit elle est le signe de l'ignorance de celui qui l'emploie.

Voir le quiz 27 Paronymie - Paranomase

 

De très vieux métiers : 

Les aboyeurs appelaient les fiacres au sortir des spectacles.

Les affineurs affinaient le chanvre pour en faire des cordes.

Les afoireurs étaient des crieurs publics, informateurs de la population.

 

Les taxis n'exigeaient point qu'on les hélât ;

hélât subjonctif imparfait

subjonctif car le verbe de la principale exprime une volonté, un désir, exiger.

imparfait puisque le verbe de la principale est à un temps passé, l'imparfait (de l'indicatif)

>*La concordance des temps dans les propositions subordonnées + Le style ou le discours direct et indirect

le point-virgule. En typographie, on laisse une espace avant et une autre après ce signe de ponctuation. 

 

> J'aime bien le point-virgule

> Des espaces en typographie - avant/après : la virgule, le point, le point-virgule, les points d'exclamation et d'interrogation, les deux points, les guillemets, etc.

 

Je l'ai vue en visite il y a peu.

♦ vue, participe passé employé avec avoir s'accorde avec le complément d'objet direct placé avant, L' :  LA pronom élidé pour Marisa-Loup de Saint-Ange.

♦ il y a peu, il n'y a pas longtemps.

 

Pour en savoir plus sur l'accord des participes passé

Récapitulation des articles sur l'accord des participes passés

 

<< 68 Délires morphiques

>> 70 Délires près de dévoiler un secret

 

AJOUT

Note du 21 janvier 2013

En écrivant cet épisode de la fiction surréaliste et fantasmagorique des Délires (n°69), je ne croyais pas si bien dire. À savoir que l'illustre économiste britannique, Mr Keynes, avait déjà imaginé qu'il serait possible de ne travailler que trois heures par jour dans une société où chacun aurait dompté son Hybris. Cela suffirait pour subvenir à ses besoins. Cf. J. M. Keynes, La pauvreté dans l’abondance

John Maynard Keynes 1883-1946

Comment suis-je parvenue à la découverte, chez Mr Keynes, de cette idée folle, mais ô combien intéressante, bien après qu'elle eut germé dans mon esprit ? Je vais vous le dire.

J'ai écouté l'interview de Monsieur Michel Rocard, que j'ai en grande estime, sur RMC, le 21 janvier 2013. Il fait allusion à la pensée de Mr Keynes, qui, si elle peut sembler datée à certains, contient une vision qui mérite qu'on s'y attarde aujourd'hui.

En surfant sur la toile, je retrouve l'idée dans la revue CONTRETEMPS.

En voici un extrait :

"Keynes poussa l’audace jusqu’à envisager, pour une société capable de dompter son hybris, « des postes de trois heures par jour ou de quinze heures par semaine », car « trois heures par jour suffiront amplement à satisfaire le vieil Adam chez la plupart d’entre nous »[28]. Dans la Théorie générale, il reconnait certes « qu’à l’heure actuelle, la grande majorité des individus préfèrent l’augmentation de leur revenu à l’augmentation de leur loisir », et qu’on ne peut obliger ceux qui préfèrent un supplément de revenu à jouir d’un supplément de loisir ». Mais, aujourd’hui comme hier, la question (que Keynes ne pose pas) est de savoir pourquoi tant d’individus peuvent préférer travailler plus pour gagner plus dans un travail aliéné, que se serrer la ceinture dans un temps réputé libre mais tout aussi aliéné et vide. L’expérience des 35 heures avec flexibilité et compensation salariale apporterait d'édifiants éléments de réponse."

 

Étonnant, non ?

L'utopie des trois heures de travail par jour apparaît dans la cité d'Utopinambourg, lieu où se passe mon récit. À y réfléchir de près, ne serait-ce qu'une utopie ?

 

 

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