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Alcmène mit longtemps à se calmer. Elle me sut gré, sans le dire, de la patience pleine d'indulgence que je lui témoignais en restant là, à ses côtés, attentive au moindre de ses mouvements, au moindre de ses soupirs.
Pourquoi s'était-elle laissé aller jusqu'au point de me dévoiler sa faiblesse ? Ce que je lui avais dit l'avait stupéfiée. Mais qu'y avait-il donc dans mes propos de si troublant, de si incroyable, que Mademoiselle de Saint-Ange rendît visite à Marie Cratère ?
Pourquoi semblait-elle bouleversée à ce point ?
Je commençai à douter de son état mental ; elle avait été bien malmenée la veille.
Qu'il fallait peu de choses à son imagination pour croire qu'il se passait entre les deux femmes une entente secrète et lourde de conséquences, à tel point qu'il était nécessaire de nous terrer au fond d'un trou pour en éclaircir le mystère ! Et quand bien même nous devrions en commenter l'occurrence, que sortirait-il de notre conversation ?
Je n'osais prendre la parole avant que le calme ne fût revenu tout à fait, et je considérais Alcmène qui s'apaisait peu à peu. Sa respiration devint plus régulière, et lorsque nos regards se croisèrent, elle me sourit. Elle était vraiment très jolie avec sa petite frimousse d'enfant punie, et je ressentis, en cet instant qui la rendait si proche de moi, comme un élan de tendresse vers cette jeune femme qui n'avait eu jusque-là personne à qui se confier et qui, pour la première fois décidait de sauter le pas° au risque de le regretter aussitôt.
Que savait-elle de moi ? Rien de plus que moi-même.
Connais-toi toi-même* avant de juger.
C'est bien ce que nous aurions pu nous dire pour nous mettre en garde, jusqu'à nous défier l'une de l'autre, jusqu'à nous défier de nous-mêmes. Mais nous n'avions rien à cacher. Et nos coeurs étaient purs.
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*Connais-toi toi-même. Devise de sagesse gravée sur le fronton du Temple d'Apollon à Delphes. Socrate reprendra cette maxime pour en faire l'un des piliers de sa philosophie.
NOTES
Elle me sut gré, sans le dire, de la patience que je lui témoignais
♦ Savoir gré à quelqu'un de quelque chose, lui en être reconnaissant.
Je vous sais gré de... Je vous saurai gré de...
♦ Savoir mauvais gré à quelqu'un de quelque chose, être mécontent de ce qu'il a fait.
Je vous sais mauvais gré de m'avoir insulté.
attentive au moindre de ses mouvements
au plus petit de ses mouvements, voir les comparatifs et les superlatifs irréguliers dans la note du texte 30
Pourquoi s'était-elle laissé aller
Le participe passé laissé est invariable lorsqu'il est suivi d'un infinitif
Ce que je lui avais dit l'avait stupéfiée.
stupéfiée, participe passé qui s'accorde avec l' (mis pour Alcmène), complément d'objet direct placé avant lui.
Qu'il fallait peu de choses à son imagination pour croire...
Cf. René Chateaubriand.
Qu'il fallait peu de choses à ma rêverie...
Voir l'extrait dans l'article :CHATEAUBRIAND
à tel point qu'il était nécessaire de nous terrer au fond d'un trou
>À un tel point que, à un point tel que, au point que
locutions conjonctives introduisant des propositions de conséquence
Et quand bien même nous devrions en commenter l'occurrence
♦ Quand bien même, locution conjonctive suivie du conditionnel (condition)
♦ Une occurrence, un événement qui arrive de façon fortuite.
avant que le calme ne fût revenu tout à fait.
♦ fût revenu subjonctif plus-que-parfait
♦ subjonctif après la locution conjonctive >Avant que
♦ Ne est explétif après avant que, il n'est pas nécessaire.
>NE explétif - Quand peut-on l'employer ?
♦ Considérer, observer attentivement
jusqu'à nous défier l'une de l'autre
ici verbe pronominal réciproque
se défier (de quelqu'un), se méfier de lui.
se défier de soi-même, ne pas avoir confiance en soi.
>> 73 Délires à décrypter sans plus attendre
Délires qui soulèvent un coin du voile - Une parenthèse autobiographique sur laquelle vous pouvez faire l'impasse
Vous savez si peu de choses sur moi, moi Oli, l'héroïne et la narratrice de cette histoire.
Je vais profiter d'un petit break1 dans mon récit pour vous en dire quelque chose.
Et je ne vais pas tergiverser ni vous en faire accroire2. À quoi bon ? Je suis si bien protégée devant mon ordinateur qui fait écran et mon écran qui éclaire ma chambre autour de laquelle je voyage3 avant l'aurore. Sans parler de mon nom qui ne révèle rien.
Bon, je l'avoue. Je suis vieille aujourd'hui. D'aucuns diraient à ma place : Je suis une personne âgée ou même Je suis installée dans la quatrième dimension — Oh ! Pardon ! Lapsus..— dans le quatrième âge. Un âge canonique sinon canon4.
Vieille ? Qu'est-ce à dire ? vous exclamerez-vous. Que signifie vieille aujourd'hui ?
En fait non. Vous direz plutôt : Vieille comment ? ou bien Quel âge avez-vous donc ?
Si vous êtes un vrai internaute pratiquant assidûment les blogs vous préférerez : Quel âge as-tu ? Ou mieux encore : T'as quel âge ?
Il y a des chances que, bravant tout respect pour l'orthographe, vous écriviez plutôt : Ta quel age ? ou Té vielle comment ?
Eh bien voilà, j'ai quatre-vingt dix-huit ans5. C'est dit.
J'entends déjà les sifflets et les huées, le clap de fin de partie6... C'est mon blog qu'on éteint.
(J'écris la suite pour ceux qui ne m'ont pas fuie en courant)
En fait, coquette, je plaisantais. J'ai cent quatorze ans.
Là, je sens déjà que vous ne me croyez plus...
Si j'avouais mon âge véritable, vous seriez estomaqués, chers lecteurs.
À chacun sa vérité7 !
Je vous vois acharnés à savoir ce que sont les êtres et les choses comme si les êtres et les choses en soi étaient ceci plutôt que cela. Luigi Pirandello
Je laisse ce tapuscrit faire son oeuvre.
Lorsque je l'écris, il y a déjà bien longtemps que j'ai quitté la cité d'Utopinambourg.
Comme le Manuscrit trouvé à Saragosse, ou les Lettres Portugaises, on n'en saura pas plus que si cette histoire était écrite par un anonyme.
Bien que je sois très vieille — j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans8 — je suis toujours fidèle à moi-même, quoi que9 vous en pensiez, une honnête femme s'il en fut10.
Je vous pardonne vos trépignements d'impatience pour connaître la suite du récit de ma vie. À bientôt. Au prochain épisode.
Votre Oli*,
dont vous suivez fidèlement les pérégrinations.
*Je m'appelle Oli,
du petit nom que j'ai choisi. (Délires 18).
NOTES
1-Un break. Parfois les anglicismes me surprennent. Un break, dans cette acception-là, indispose. Un dictionnaire me souffle que l'usage en est courant bien que condamnable, et il propose : pause.
Certes, pause est plus posé et s'impose.
2-En faire accroire, tromper.
3-cf. Voyage autour de ma chambre du Comte Xavier de Maistre, publié sans nom d'auteur par son frère, le philosophe Joseph de Maistre, et à son insu. Anti-roman, anti-voyage.
Un jour, ce livre est arrivé dans ma bibliothèque comme par enchantement. Pour m'enchanter.
À lire sur la toile. Voir Gloubik, Voyage autour de ma chambre. On l'a écrit avec quelques fautes de frappe, dommage.
Vous pourrez y lire entre autres délires métaphysiques : "Messieurs et mesdames, soyez fiers de votre intelligence tant qu'il vous plaira ; mais défiez-vous beaucoup de l'autre, surtout quand vous êtes ensemble !"
4-Canon, super chouette.
5-J'ai quatre-vingt dix-huit ans.
L'accord des adjectifs numéraux, vingt, cent, mille...
Et les cas particuliers.
Exemple : Pourquoi quatre-vingts pages et page quatre-vingt ? Etc.
Ne vous cassez donc plus la tête ! La nouvelle orthographe nous permet de mettre des traits d'union entre chaque élément.
Réforme de l'orthographe - L'orthographe recommandée aux enseignants - Lexique
6-Fin de partie, pièce de Samuel Beckett, 1957.
7- À chacun sa vérité, pièce de Luigi Pirandello, 1917.
8- J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Ah ! Le Spleen de Charles Baudelaire !
9-quoi que vous en pensiez...
voir les articles
10-une honnête femme s'il en fut.
S'il en fut, expression figée, pas d'accent sur fut, passé simple.
Œuvres remarquables dites anonymes
+Lettres de La Religieuse Portugaise, dont on spécule encore aujourd'hui sur le nom de l'auteur. Écrites par une religieuse (pas si sûr !) passionnément amoureuse d'un officier français qui l'aurait abandonnée. Peut-être les plus belles pages de la littérature française ! L'amour, la passion, les supplications, la rage, tout y est. Un régal.
Extrait dans ce blog :
LETTRES PORTUGAISES anonyme - La passion amoureuse d'une religieuse
+Les Lettres Persanes (d'Usbek et de Rica) publiées sous un pseudonyme de Montesquieu, lequel pseudonyme affirme avoir trouvé ces lettres.
Histoire de critiquer quelque peu le pays qu'il habite (le nôtre), Montesquieu écrit sans se révéler. L'intelligence faite homme, au Siècle des Lumières.
+Le Manuscrit Trouvé à Saragosse, fine fleur du roman fantastique, récits en abyme, déjà cité dans ce blog.
Et bien d'autres.
Les écrivains adorent trouver des manuscrits qu'ils transcrivent dans leurs romans !
Une façon de se cacher, de dire "ce n'est pas moi, c'est un autre qui a écrit cela", parfois pour échapper aux foudres des autorités, ou encore... pour laisser planer le mystère.
Une citation qui n'a rien à voir avec ce qui précède :
De Luigi Pirandello :
Quel auteur pourra jamais dire comment et pourquoi un personnage a surgi dans son imaginaire ? Le mystère de la création artistique est le mystère même de la naissance naturelle.
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