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Ainsi donc fallut-il que Prétatou et moi-même prissions le chemin qui menait au Jardin des Délices et de la Connaissance. C'était l'endroit incontournable à visiter pour me faire une idée de ce que Utopinambourg offrait à ses citoyens.
N'était-il pas annoncé en lettres de feu sur le gigantesque panneau à l'entrée de la ville ?
Quand nous franchîmes le portail monumental qui y donnait accès, nous ressentîmes comme une espèce de vibration sonore, agréable, reconnaissons-le, mais pour moi inconnue jusqu'alors.
Une large allée se déployait devant nous, et, alignés en une longue file, des petits soldats au garde-à-vous nous saluèrent en une ola parfaitement gracieuse et mesurée, des roboti charmants et bigarrés.
Prétatou s'était fait fort de m'indiquer leur usage, en devançant mon étonnement.
« Tu peux tout savoir grâce à eux, m'avait-il précisé. Pose-leur une question et tu auras une réponse juste et complète sur le sujet qui t'intéresse. »
J'imaginai, l'espace d'un éclair, que j'allais me risquer à leur poser des questions tabous, sinon embarrassantes, sur l'administration de leur étrange ville, mais je cessai vite de nourrir cette idée. N'y avait-il pas derrière ces fantoches mécaniques des bouches et des oreilles prêtes à vous prendre en défaut sitôt qu'une question s'éloignerait des normes acceptables de ce pays ?
Prétatou me précisa, pour confirmer la méfiance dont on devait faire preuve en toutes circonstances :
« Sois prudente, ma petite Oli, ne t'amuse pas à poser des questions tabous et même embarrassantes sur l'administration de notre étrange ville. »
Une fois de plus, j'eus la preuve que ce cabot, qui ne se voulait en rien cabotin, était doté d'un pouvoir qui perçait à jour les pensées les plus intimes des humains qu'il croisait. En outre, il était prodigue en bons conseils ; n'en avais-je pas eu maintes fois la preuve ? Et, tout clebs qu'il était, je sus qu'il serait prêt à m'avertir des embûches qui se dresseraient devant moi.
Nous nous laissâmes ainsi saluer bien bas par les roboti, et, continuant notre chemin, nous arrivâmes sur une large esplanade où s'étalait, en son milieu une vaste table circulaire que je pris pour une sorte de cadran solaire.
Je m'en approchai, mue par ma curiosité naturelle, tout en observant la prudence nécessaire. La curiosité quelquefois nous trahit*.
La multitude de dessins géométriques qu'on y avait tracés, les indications innombrables que l'on pouvait y lire, me donnèrent à penser qu'il s'agissait de bien d'autres choses. Je pris mon courage à bras le corps et je me décidai à interroger le robotus qui se tenait sagement à côté de moi.
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*La curiosité quelquefois nous trahit. Corneille, Othon, IV, 4
NOTES
Ainsi donc fallut-il que Prétatou et moi-même prissions le chemin
♦ ainsi donc, reprise du récit un moment interrompu par des digressions.
inversion du sujet après ainsi donc
> L'inversion du sujet après ainsi, aussi, aussi bien, à peine, peut-être, sans doute, encore, du moins, pour le moins, tout au plus, encore moins, toujours est-il, encore, à plus forte raison.
♦ il faut que nous prenions, il fallait que nous prissions...
prissions, subjonctif imparfait
subjonctif après il faut que
> Valeurs et emplois du subjonctif
Le Jardin des Délices... n'était-il pas annoncé en lettres de feu...
Pour connaître l'arrivée d'Oli dans la ville, lire :
53 Délires d'une ville, la nuit
Le Jardin des Délices renvoie à l'œuvre célèbre de Jérome Bosch (triptyque peint en 1505-1506) dont le tableau central représente une foule nombreuse de personnages nus semblant se livrer à tous les plaisirs. Le panneau de gauche évoque le Paradis Terrestre avec Adam et Ève, celui de droite l'Enfer. Les panneaux refermés, il apparaît sur leur envers une bulle cristalline foisonnante de vie, censée représenter la Création du Monde selon la Genèse.
Au milieu du Paradis Terrestre, se dresse l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. On sait ce qu'il advint lorsque Adam et Ève goûtèrent de ses fruits.
des roboti charmants et bigarrés
Un robotus, forcément, son pluriel sera roboti, selon la règle latine qui veut qu'un bonus fasse des boni et un malus des mali.
Le mot robot vient du tchèque robota qui signifie corvée, travail forcé.
Robotus, barbarisme mamiehiouien qui s'affiche ici en néologisme !
j'eus la preuve que ce cabot, qui ne se voulait en rien cabotin, était doté d'un pouvoir
♦ un chien, un cabot, un klebs (familier)
♦ Cabotin vient du nom d'un bonimenteur, acteur et arracheur de dents de surcroît, monsieur Cabotin, qui avait l'art et la manière de vendre ses élixirs qu'il disait miraculeux (XVIIe siècle).
Ce terme désigne un mauvais acteur qui surjoue son rôle.
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