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10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 18:08

UNE PETITE HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

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Pauvre Rutebeuf !

 

Que n'entend-il ses complaintes traverser les siècles avec bonheur et donner au coeur des hommes une émotion sincère ?
On connaît peu de choses de la vie de ce trouvère qui vécut au XIIIe siècle sous Saint Louis et Philippe III Le Hardi.
Il excella dans la satire lyrique et ne craignit pas de flétrir toutes les institutions de son temps, ainsi dans « La Nouvelle Complainte d'Outremer » où il dénonça de manière précise et réaliste les vices des chevaliers, des clercs et des bourgeois qui s'engraissaient sur le dos des autres. Il fut le poète le plus original de son temps, le premier à parler de sa vie, le digne ancêtre de Villon.
Son talent, c'est un lyrisme mélancolique, ses plaintes sur sa misérable existence, sur son mariage, sur l'absence de ses amis, sur sa pauvreté.

 

Ci encoumence la complainte Rutebuef de son oeul
  
La complainte Rutebeuf
   Extrait

[...]
Que sunt mi ami devenu
Que j’avoie si pres tenu
Et tant amei ?
   Que sont mes amis devenus
   Que j'avais de si près tenus
   Et tant aimés ?
 
Je cuit qu’il sunt trop cleir semei ;
Il ne furent pas bien femei,
Si sunt failli.
   Je crois qu'ils sont trop clair semés ;
   Ils ne furent pas bien soignés,
   Ils sont partis.

Iteil ami m’ont mal bailli,
C’onques, tant com Diex m’assailli
E[n] maint costei,
   De tels amis m'ont maltraité
   Que, tant que Dieu m'a assailli
   De tous côtés,

N’en vi .I. soul en mon ostei.
Je cui li vens les m’at ostei,
L’amours est morte :
   N'en vis un seul en ma maison.
   Je crois que le vent les m'a ôtés,
   L'amour est morte :

Se sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte,
Ces enporta,
   Ce sont amis que vent emporte,
   Et il ventait devant ma porte,
   Sont emportés.

C’onques nuns ne m’en conforta
Ne tiens dou sien ne m’aporta.
Ice m’aprent :
   Ainsi jamais nul ne me réconforta
   Ni ne m'apporta de son bien.
   Voici ce que cela m'apprend :

Qui auques at, privei le prent ;
Et cil trop a tart ce repent
Qui trop a mis
   Ce que l'on a, ami le prend ;
   Et l'on se repent trop tard
   D'avoir trop dépensé

De son avoir a faire amis,
Qu’il nes trueve entiers ne demis
A lui secorre.
   De son avoir pour se faire des amis,
   Car il ne les trouve ni entièrement ni à demi
   À le secourir

Or lairai donc Fortune corre,
Si atendrai a moi rescorre,
Se jou puis faire.
   Maintenant je laisserai faire la Fortune 
   Et veillerai à me secourir moi-même
   Si je puis le faire.

Vers les bone gent m’estuet traire
Qui sunt preudome et debonaire
Et m’on norri.
   Vers les gens de bien m'en irai
   Qui sont bons et généreux
   Et m'ont nourri.

Mi autre ami sunt tuit porri:
Je les envoi a maitre Horri
Et cest li lais.
[...]
   Mes autres amis sont si pourris :
   Je les envoie à maître Horri le vidangeur
   Et les lui laisse.


Pour écrire sa chanson « Pauvre Rutebeuf », Léo Ferré s'est inspiré des poèmes : « La complainte Rutebeuf », « La Griesche d'Yver », « Le Mariage Rutebeuf ».
Cette chanson a connu plusieurs interprétations. Elle a été reprise par Catherine Sauvage, Jacques Douai, Hugues Aufray,  Hélène Martin, James Ollivier, Philippe Léotard, Marc Ogeret, Joan Baez, Cora Vaucaire, Nana Mouskouri, Didier Bardelivien, Dani Klein (et Vaya Con Dios).
Ne vous privez pas du plaisir d'entendre Léo Ferré ou Joan Baez ou Nana Mouscouri l'interpréter pour vous (sur la toile), pour ne citer qu'eux. 
 
 

Pauvre Rutebeuf 

de Léo Ferré

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu

Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta


Nous savons que bien d'autres oeuvres ont vu le jour en cette époque du Moyen Âge. Cette chronique n'a pas pour dessein d'en faire la liste exhaustive, mais seulement de jeter quelques jalons pour que nous goûtions de cette langue ancienne, jadis parlée par des voix qui se sont tues. Nous n'entendrons jamais leur accent, leur intonation, la musique de leurs mots dans leurs dialectes divers. Il nous reste, à travers les écrits, une certaine idée de la vie de notre pays.
Dans le chapitre qui va suivre, notre langue franchira une étape pour devenir ce qu'on appellera Le Moyen Français.


NOTES SUR LES COMPLAINTES

Une complainte est un long poème chanté. Elle dit l'histoire d'un personnage, réel le plus souvent, qui se lamente en racontant ses malheurs. Au fil des siècles, elle est devenue chanson populaire relatant des événements tragiques ou des crimes odieux.
Dès le XVIe siècle, les chanteurs ambulants, successeurs des jongleurs du Moyen Âge, entonnent dans les rues leurs complaintes reprises en choeur par les passants auxquels on distribue des feuilles volantes.

Peut-être avez-vous déjà entendu « La Complainte de Mandrin », celle du bandit justicier qui a défrayé la chronique au XVIIIe siècle, après qu'il eut été supplicié, roué sur la place publique. Cette complainte sera reprise, entre autres, par Yves Montand, Guy Béart, Francois Hadji Lazaro, Bernard Lavilliers et Faudel.
Au siècle dernier, le crime de Violette Nozières, le massacre d'Oradour-sur-Glane sont parmi les derniers thèmes qui ont inspiré les chanteurs des rues.

De nombreux poètes ont écrit des complaintes.
Paul Verlaine, emprisonné après avoir tiré sur Arthur Rimbaud en 1873, s'identifie à un pauvre hère, triste anti-héros dirait-on aujourd'hui, personnage à demi-légendaire, Kaspar Hauser, au tragique destin.

 

 Je suis venu calme orphelin 

Paul Verlaine


Gaspard Hauser chante :

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin.

A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes,
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !

 
Bon nombre d'entre nous ont appris dans leur enfance le poème « La Complainte du Petit Cheval Blanc » de Paul Fort. Elle fut reprise par Georges Brassens.


La complainte du Petit Cheval Blanc

Paul fort


Le petit cheval dans le mauvais temps,
Qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage,
Il n'y avait jamais de printemps,
Ni derrière, ni devant.
[...]

Et sur ces tristes paroles qui, j'en suis sûre, vous ont arraché une larme, je vous dis à bientôt.

> Chapitre 8

 

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