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12 décembre 2015 6 12 /12 /décembre /2015 11:37

 FLORILÈGE

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Un florilège de textes sélectionnés par mamiehiou

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-43-

 

Texte sur Montaigne recueilli dans

L'Histoire de la littérature française (1920)

par Gustave Lanson 1857-1934

 

https://fr.wikisource.org/.../Livre : Lanson

 

 

Michel de Montaigne 1533-1592

Écrivain, philosophe et moraliste de la Renaissance

LES ESSAIS

"Je suis moi-même la matière de mon livre."

Extraits

Page 328

Mais enfin voilà le produit net de sa vaste et curieuse enquête : à travers tous ces faits, témoignages et arguments qui se choquent confusément, ceci seul apparaît, que les hommes ne sont d’accord sur rien, qu'ils ne savent rien : en politique, en législation, en morale, en religion, en métaphysique, les peuples donnent des démentis aux peuples, les siècles aux siècles ; le vulgaire se divise, et les savants s’accusent de rêverie ou d’ânerie. Ni la souple et ployable raison n’a su trouver une vérité constante, ni l’ondoyant et divers instinct n’a pu établir une forme universelle de vie. C’est un chaos de systèmes et de pratiques, où il se manifeste que l’homme ignore ce qu’est son âme, et son corps, et l’univers, et Dieu : l'Apologie de Raimond Sebond, cet immense chapitre de trois cents pages, est le recueil de toutes nos ignorances, erreurs, incohérences et contradictions, et conclut au doute absolu, universel. Logé au centre du livre, il en dégage l’esprit, il en concentre pour ainsi dire toute l’essence. C’est l’impression du moins qu’on en doit d’abord ressentir.

 

Mais, à la réflexion, on se demande si Montaigne est vraiment un sceptique : si son scepticisme est universel. Je remarque que toutes ces choses dont il doute et nous fait douter, sont justement celles pour lesquelles les hommes se cassent la tête, au propre comme au figuré. Je remarque que ce sont celles qui dépassent l’expérience et le raisonnement, sur lesquelles nombre de gens, qui n’étaient pas sceptiques, ont déclaré impossible à l’esprit humain d’acquérir aucune certitude, et que divers dogmatismes très positifs ont dénommé l’inconnaissable. Et dès lors le scepticisme de Montaigne sur les objets métaphysiques est un scepticisme transcendental, très limité par conséquent et circonscrit. Je remarque encore que le doute de Montaigne atteint avec la métaphysique d’autres choses, mais qui sont précisément comme un écoulement de la métaphysique dans la réalité : et je crois bien que son scepticisme transcendental a surtout pour but de couper dans la racine les affirmations métaphysiques dont notre vie sociale reçoit sa forme, et pour lesquelles nous nous coupons la gorge. Et je remarque enfin qu’au delà de la métaphysique et de ses émanations de l’ordre pratique, Montaigne travaille à nous faire douter des formes multiples où nous réalisons nos instincts, à nous persuader

que ces formes, toutes relatives à nous, ne sont pas ces instincts, ni ne leur sont essentielles ; que donc nous ne devons pas nous opposer, nous diviser par là, ni refuser de voir nos semblables dans des hommes qui ne prient pas, ne parlent pas, ne s’habillent pas comme nous : est-ce raison d’assommer des sauvages parce qu’ils ne portent pas de hauts-de-chausses ?

 

Qu’est-ce à dire, sinon que Montaigne donne le scepticisme pour remède au fanatisme ? pas moins, pas plus. Il veut mettre dans le monde tout juste assez de doute pour que le monde vive en paix, pour que Montaigne ne soit tracassé, tourmenté ni par ses passions, ni par les passions de ses voisins : prêcher la tolérance, c’est fort bien ; insinuer le Que sais-je ? est plus sûr. Qui supprime la cause, supprime l’efTet. Son scepticisme, c’est le secret de vivre à l’aise au milieu des guerres civiles, et le secret d’éteindre les guerres civiles, qui empêchent de vivre à l’aise. [...]

 

Page 323

Michel de Montaigne est un aimable homme, quand il parle de soi (et il en parle toujours), mais jamais plus que lorsqu’il parle de cette partie de lui qui est son intelligence, ses idées : alors il devient singulièrement intéressant ; alors il nous parle de nous, en parlant de lui ; il nous confesse, en se confessant ; il nous guide, en s’orientant. Il est parti de ce point de départ, dont chacun de nous, s’il était franc, prendrait bien volontiers l’analogue en lui—même : qu’il n’y avait rien de plus intéressant au monde pour lui que Michel de Montaigne, et que l’objet de son étude devait être ce qu’était, ce que sentait, ce que voulait Michel de Montaigne, pour lui ménager le plus de commodité, d’aise et de bonheur en cette incertaine vie. Mais regardant en lui, il y a trouvé quelque chose de plus que lui-même, l’homme : et il a trouvé aussi qu’il ne se connaîtrait bien lui-même qu’en regardant hors de lui : ses voisins de Gascogne d’abord, ses voisins de France aussi, ses voisins d’Allemagne et d’Italie, ses voisins d’Amérique, ses voisins enfin de tout ce « petit caveau » qui est la terre dans l’univers : et les voisins du temps comme les voisins de l'espace, les gens d'hier et d'avant-hier, et d'autrefois, l’humanité qu’on appelle ancienne.

 

Et voilà qu’en cherchant Montaigne, il a vagabondé de corps et d’esprit, surtout d’esprit, à travers tous les pays et tous les siècles : en cherchant les plus douces assiettes et les plus aisées postures, il a essayé toutes les assiettes et toutes les postures où la pauvre humanité s’est figurée à chaque moment trouver le repos pour l’éternité des siècles. Pour faire rendre le plus de réel bonheur à ses cinq ou six mille livres de rente qu’il mangeait en son castel, il a confronté avec sa Gascogne et sa France les deux mondes découverts depuis un siècle, le monde de la nature, les sauvages de l’Amérique, et le monde de la civilisation. les penseurs opinions, les mœurs, depuis la façon de s’habiller jusqu’à la morale et la religion, le plus universel, épouvantable et grotesque conflit qui se puisse imaginer. Il nous a apporté fidèlement, naïvement, triomphalement les résultats incohérents de son enquête. Il a recueilli de ses conversations, des relations des voyageurs, de

tous les écrits des anciens, le plus volumineux dossier des contradictions humaines. On peut même soupçonner qu’il prend grand plaisir à l’enfler, et regarde au nombre plus qu'au choix : témoin ces amours d’un éléphant et d’une bouquetière en la ville d’Alexandrie, dont il nous fait part gravement, et je ne sais combien d’autres sottises, auxquelles il se donne l’air de croire. Il se moque de nous, au fond : s’en moque-t-il toujours autant qu’on aimerait à le penser ? Prenons bien garde que la critique historique est la dernière née, et que la critique philosophique pendant deux ou trois siècles a fait son œuvre sans elle et même parfois contre elle. Je ne garantis pas du tout dans quelle mesure ce grand douteur de Montaigne savait douter d’un texte.

 

Voir d'autres textes d'auteurs dans : FLORILÈGE

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Le numéro 440 du magazine LIRE de novembre 2015 a été consacré à Michel de Montaigne. > Les magazines LIRE de 2015

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