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15 mai 2017 1 15 /05 /mai /2017 17:10

POUR ADULTES

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ADDICTION

 

Jamais au grand jamais, je n'aurais pu imaginer que je puisse en arriver là. Mon tort, c'est d'aimer trop. Il est la source de tous mes désirs, de toutes mes angoisses, de toutes mes obsessions. Je ne peux me défendre de rechercher sans relâche ce pincement au coeur, cette bouffée de chaleur qui me submerge soudain comme un raz-de-marée, cet étourdissement exquis, ces picotements particuliers au bout de mes doigts et d'autres choses encore, tyranniques.

Je n'y peux rien. C'est comme ça. À voir toutes ces femmes affriolantes que je croise chaque jour, je devrais être un homme comblé. Mais voilà, mon surmoi* hyperdéveloppé exige que je contienne résolument les élans difficilement répressibles qui me portent à jouir par tous mes sens exacerbés, là, d'un souffle parfumé qui dilate mes narines enivrées, là encore, d'une voix chaude et envoûtante à la musicalité particulière, plus loin, d'une cuisse galbée que laisse entrevoir la robe légère soulevée par une brise opportune, ou bien du balancement suggestif d'une chute de reins que je regarde, pensif, s'éloigner, et tout près, sans que j'y prenne garde, d'un regard profond où je me plais à plonger sans retenue aucune, jusqu'à m'y noyer, un jour, qui sait. Je pourrais citer mille choses encore qui me font vibrer sans pouvoir m'en défendre. Y penser me met dans un état tel qu'il m'est difficile de continuer à vivre ainsi, à regarder, à sentir, à entendre, sans pouvoir goûter comme il me plairait de le faire, à tant de plaisirs qui s'offrent à moi, à portée de vue... à portée de main... à portée de bouche... Ma raison vacille, mais combien délicieuse est l'idée d'y pouvoir succomber !

L'imagination est puissante, elle ajoute, à la réalité, des pouvoirs sans limites. Je ne puis échapper à la vague déferlante qui m'emporte, et je me condamne chaque fois, à ne pouvoir résister sans souffrir au martyre de mes sens impérieux.

 

À Dieu ne plaise ! Ce siècle me sied à merveille, il m'ouvre tous les possibles. Libéré des contraintes qui ceignaient si fortement les esprits il y a quelques décennies à peine, je me sens fébrile à voir autour de moi ce qui suggère, à qui mieux mieux, les tentations. On s'en donne à coeur joie. On jette allègrement sa gourme ! Et son bonnet par dessus les moulins !

Qu'on écoute la radio, ce ne sont que rires incongrus laissant éclater l'impudeur. Qu'on regarde la télévision, on n'échappe pas au spectacle des étreintes lascives des corps qui, impunément, se livrent, débarrassés de toute censure morale, attitudes qui provoquent au fond de soi l'on ne sait quoi qui taraude. Le sexe est bien là, qui se tapit dans les images et les mots. Il ne faut pas chercher longtemps pour le rencontrer. Il s'offre. Il s'impose même, sans qu'on le veuille, sans même qu'on s'en méfie.

Une permissivité sans limite, voilà ce dont je rêve. Ne s'est-elle pas installée déjà d'une certaine façon, à tel point qu'elle semble avoir toujours existé ? Et moi, homme du commun, je me laisse aller, porté par l'air du temps, fils de soixante-huitards, semblable au plus grand nombre, n'ayant reçu dans mon enfance aucune borne à mes instincts, imitant sans état d'âme ce que je voyais autour de moi, ma famille, les amis que je fréquentais, les modèles qui, dans les médias, s'offraient à moi sans compter.

Non ! Je ne suis pas un monstre libertin ! Je suis un être humain comme les êtres lambda que l'on croise à chaque instant. Je ne suis pas responsable de ce qui me pousse à agir. Pourquoi le serais-je ? Et qu'est-ce que cela veut dire en vérité ? que l'on a peur de se jeter dans l'aventure, que l'on craint d'être montré du doigt si l'on est démasqué ? Mais bien au contraire : on se délecte à l'idée de représenter le mâle jouisseur, celui qui ne craint pas la foudre des bien-pensants, en reste-t-il encore, je vous le demande ? celui qui sait adroitement brûler la vie par les deux bouts, sans l'ombre d'un remords. Le fin du fin, c'est de savoir jouer avec son destin. J'ose. Le monde est à moi ! Pourtant, je suis un homme tout simple, mais un homme qui sait regarder et humer les femmes qui passent. Prêt à fondre sur celle qui me lance un regard. À ce moment précis, je lis dans sa pensée. Je sais. C'est tout. Le champ est libre. J'obtiendrai ce que je veux sans violence aucune. Ai-je jamais voulu faire du mal à quiconque ?

C'est ELLE qui décide en somme. Pour les autres, je les laisse tranquillement passer leur chemin. Je ne suis pas un prédateur. Je suis innocent !

 

J'ai essayé le mariage parce que je ne sais pas dire non. Cela m'a pris, un beau jour, sans trop réfléchir, seulement pour savoir. J'ai cru que ce serait un patch qui me calmerait. J'aurais pu alors réserver mon énergie pour d'autre chose. Mauvais calcul ! Alors, je me suis marié ailleurs. Hélas ! Mes deux épouses d'aujourd'hui ne me comblent pas. La vie est compliquée avec Louisa et Mélanie. Je compose des partitions amoureuses adaptées à chacune d'elles. Si je rêve la nuit, je crains de parler trop, de susurrer un nom... le nom de l'autre.

Je les entraperçois entre deux escales aéronautiques. Je me sens tout accaparé. Elles se sont mises à faire des enfants. L'une deux, l'autre trois. Je leur ai dit que j'étais bâtisseur de barrages. Je m'absente, je reviens, je m'absente, c'est la valse des va-et-vient, le mambo exotique et sensuel, ou la samba si vous voulez, un pas en avant, un pas en arrière. Je ne cesse de danser. Financièrement je fais face. Je me compose une image de Père Noël quand je rentre de voyage. Les cadeaux compensent tout ce que j'aurais dû faire. Pire ! J'ose me plaindre : « Mon amour, il y a si longtemps... » Tour à tour je les enlace, tour à tour je les embrasse. Baise m'encor, rebaise-moi et baise**, me murmure Louisa qui frissonne. Mélanie ne dit rien. Elle me prend. Et je me laisse aller au plaisir sans mot dire. Je les connais par coeur. Pas encore rassies, elles sont si sûres d'être aimées, si sûres d'être comblées. Elles brûlent tour à tour. J'en ai mon compte. Ah ! Je les ai bien choisies ! Vibrantes et pathétiques.

 

Et parfois me voici las de l'une, et aussi las de l'autre. Vos enfants ? me direz-vous Pas le temps de les connaître. Pour n'en avoir aucun regret. Je les laisse à leur mère comme un os à ronger.

 

Quel est soudain ce désir de liberté qui m'étreint et ne me lâche plus ? Je suis plus gaillard que jamais ! Il me faut d'autres aventures, vivre avec un coeur tout neuf, découvrir un amour tout neuf, me laisser surprendre d'autres fois encore. Rechercher la fraîcheur, la nouveauté, l'innovation peut-être, l'inédit sûrement. D'autres odeurs, d'autres douceurs, d'autres grains de peau, d'autres carnations : olivâtre ou rose, noire ou laiteuse. Pourquoi devoir choisir ? Les avoir toutes ! Sans raison garder. Sans coup férir.

 

Je me souviens de ma toute première épousée. Elle était bien belle ma foi, et douce, et patiente avec son diable d'homme. Je ne sais pas rompre. C'est bien là le hic. Je crains les pleurs, les gémissements, les supplications, les harcèlements peut-être... Non, non et non ! Je taille dans le vif. Je disparais. Mon nom vient s'ajouter à la liste nombreuse de ceux que l'on recherche — que l'on recherche sans succès. Je suis devenu un John Doe suivi d'une suite impressionnante d'alias. Je ne les compte plus.

On vient d'établir un fichier national qui rassemble et compare l'ADN des disparus. Quatre-vingt-dix-sept personnes recherchées se retrouvent avec le même ADN. C'est moi ! Ce n'est que moi. Qu'est-ce que je risque si l'on me retrouve ? Voyons un peu... Polygamie ! Je serai accusé de polygamie. Je l'aurai bien mérité, me direz-vous. Et la clémence alors ?

Le pire : ce sont les pensions que j'aurai à payer à mes femmes. Il ne me restera plus un sou. J'ai un bon job. Je vis très à l'aise. Mais mes deux-cent-soixante-quinze enfants vont me ruiner. Il faudrait que je meure pour de bon et qu'on efface à tout jamais l'image de l'ennemi amoureux, gros de près de cent avatars dont les dossiers encombrent les commissariats.

 

Voilà que ce matin, en lisant le journal, je tombe par hasard sur un bel article qui me concerne. À la une ! Excusez du peu ! Interpol est sur les dents. Je me sens un peu traqué tout à coup. J'ai une belle gueule sur la photo. Va falloir que je me la démolisse un peu. Histoire, à l'avenir, de passer inaperçu.

Me tailladerai-je ? Me brûlerai-je au vitriol ? Ou me confierai-je à un chirurgien esthétique qui aura tôt fait de percer mon identité et auquel il me faudra payer, et encore payer des sommes considérables pour acheter son silence ? L'affaire n'est pas simple !

Encore faut-il que je reste consommable par la gent féminine, je ne peux décidément pas m'abîmer le portrait.

 

« Archibald ! Où est passé le journal ? Je ne peux plus y mettre la main dessus ! »

Ah ! C'est Mélanie qui se rappelle à mon bon souvenir. Quelle nuit nous avons passée ! Me faudra-t-il me résoudre à renoncer désormais à tout ce dont cette douce épouse est capable ?

« Que t'intéresses-tu aux nouvelles, ma chérie ? Nous avons mieux à faire ce matin ! »

Et voilà que je la baisouille, que je la chatouille, que je la moumouille et la farfouille et la coucouille et la foutrouille. Sûrement pour la dernière fois.

L'étreinte lasse, je lui fais en pensée mes adieux. Comme elle va me regretter ! Comme elle va me haïr ! Comme elle va fantasmer sur mon souvenir !

 

Je ne verrai pas Louisa. Ce serait trop risqué. Elle a dû faire le rapprochement avec moi quand elle aura vu ma bouille exposée, non plus seulement sur le journal, mais à la télé !

« Fripouille ! aura-t-elle murmuré entre ses dents, fripouille ! »

On y parle beaucoup de moi. Peu à mon avantage. Des femmes font la queue, pour dire leur témoignage. Certaines rient, certaines pleurent, de regret ou de rage, d'autres encore vocifèrent, d'aucunes enfin ! vantent mon savoir-faire. On fait défiler mes enfants. Floutés évidemment ! Je ne les connais pas tous mais je suis bien ému de les voir si nombreux. Je les aime. Et eux ? Comme ils seront fiers de leur père, bientôt, quand ils connaîtront toute l'histoire !

 

Tout seul, dans mon petit pied à terre, mon refuge que nul ne connaît, je médite. J'ai perdu mon job, mes collègues ne doivent pas s'attendre à me voir revenir et j'imagine les quolibets nombreux dont ils doivent m'affubler. Encore heureux que je n'aie pas à les essuyer. Tous des jaloux !

 

Je prends mes grosses lunettes de soleil, un bonnet bien couvrant, mon vieil imperméable à la Colombo et je sors. Je me promène le long de la berge du Rhône, fleuve autrefois fougueux et indocile dont on a calmé le flot impétueux. Et je veux bien souffrir la comparaison avec lui.

Ah ! Le pouvoir des hommes qui veulent mettre bon ordre dans la morale ! Que ne suis-je caméléon pour me fondre dans leur monde, ni vu ni connu ! Que ne suis-je sultan, cerf ou coq pour me donner sans compter, sans qu'on jette sur moi l'opprobre et l'anathème !

 

L'eau grise des montagnes coule à mes pieds, vive et glacée. Une main vigoureuse soudain se pose sur mon épaule.

« Ah ! Ah ! Monsieur le séducteur ! Je vous tiens ! »

L'inconnu ricane. Il brandit une paire de menottes bien faites pour arrêter toute velléité. Je me vois déjà embastillé. Je me vois déjà sevré de coït, sinon d'amour.

 

La vie est une chose bien dégoûtante. Elle offre à votre vue tout ce qui est désirable et vous punit d'avoir désiré.

D'un geste intempestif, je me dégage soudain, je cours, je saute dans l'eau libératrice. Et je coule sans me débattre, moi, le fier étalon qui, à la belle saison, savais si bien pavoiser sur les vagues écumeuses de l'océan et qui me laissais admirer, convoiter, et siffler, et draguer, puis aimer, aimer, et encore aimer...

Texte protégé

 

NOTES

* Le ça, le moi et le surmoi, voir Freud

 

**« Baise m'encor, rebaise-moi et baise.

Donne m'en un de tes plus savoureux... »

Emprunt à Louise Labé, la Belle Cordière - 1524-1566

Retrouvez le poème > Poèmes d'amour – Tome 2 - Florilège proposé par mamiehiou

 

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commentaires

A
Oh, la coquine ! J'adore
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M
Je craignais d'être allée un peu trop loin. Je suis rassurée.

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