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Je me sentais bien démunie pour venir en aide à mes congénères et toute cogitation eût été vaine. Il me fallait un mentor, un conseil, un guide, pour me montrer la voie. C'est alors que je pensai à Marie Cratère, celle qui m'avait témoigné un attachement jaloux, parfois si sulfureux que je l'avais enduré au risque d'y perdre la vie. Elle seule avait les clefs pour nous sortir de l'enfermement dont nous étions victimes.
Je m'engageai résolument dans la forêt profonde.
Mes facultés hypermnésiques toujours aiguisées, je traçai mon chemin sans hésitations aucunes. Cette plongée sylvestre dans un lieu que j'avais maintes fois parcouru m'ôta mes angoisses trop longtemps contenues. Je respirai profondément les senteurs qui m'enveloppaient dans un fondu automnal, des parfums mêlés de mousse, d'humus, et d'ambre, des arômes subtils près de m'enivrer.
L'automne faisait son oeuvre et les feuilles doucement se détachaient des branches pour rejoindre à la verticale la terre végétale. Les oiseaux me reconnurent et chacun me lança son cri particulier. Je baignai bientôt dans une harmonie joyeuse de pépiements, de gazouillis, de piaulements, de roucoulements, chants ininterrompus de la gent ailée que je devinais tout juste dans les ramures.
Après quelques heures, je sus que j'étais près d'arriver à mon but, et soudain, à ma grande stupéfaction, je vis se précipiter à ma rencontre, mon bon chien Prétatou. L'émotion l'empêchait de me japper jovialement son bonjour et sa voix s'enrayait, hoquetait jusqu'à l'étouffement. Je le calmai d'une tendre caresse, trop heureuse de le retrouver.
« Tu as donc deviné que c'est ici que je devais revenir, cher Prétatou, toi que j'avais perdu dans la tourmente. Ne t'avais-je pas laissé au bord du gouffre d'où l'on ne revient pas ? Sache que je ne t'ai pas oublié et je n'aurais eu de cesse de te chercher que je ne t'eusse retrouvé.
─ Pauvre de moi, je suis resté en carafe. N'était l'amitié et la fidélité qui m'attachent à toi, ma chère Oli, il y a beau temps que je me serais trouvé un autre point de chute. Mais vois-tu, je t'ai attendue avec la patience sans faille dont seuls sont capables ceux qui me ressemblent. Et v’là-t’y pas que je te retrouve sans crier gare !
─ Je sais, je sais, mon ami : la patience est la vertu des forts et je te le dis tout à trac : tu n'as rien d'un estapafourbis. »
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Notes
toute cogitation eût été vaine
eût été, subjonctif plus-que-parfait à valeur de conditionnel passé du verbe être
toute cogitation aurait été vaine
Toutes mes pensées, mes réflexions n'auraient servi à rien.
Le cogito de Descartes : Cogito ergo sum (Le Discours de la méthode)
Je pense donc je suis.
Mes facultés hypermnésiques toujours aiguisées
Oli a une mémoire exceptionnelle.
je traçai mon chemin sans hésitations aucunes
Sans aucun : aucun peut suivre le substantif au lieu de le précéder
sans aucunes hésitations
Cette plongée sylvestre
cette immersion dans la forêt
chacun me lança son cri particulier
chants ininterrompus de la gent ailée
la gent ailée, le peuple des oiseaux.
1668 la gent trotte-menu [les souris] La Fontaine
La gent et pas la gente
je suis resté en carafe
Rester en carafe, être oublié, rester en plan
N'était l'amitié et la fidélité qui m'attachent à toi
La formule n'était tend à se figer. Le Bon Usage
il y a beau temps
il y a longtemps, ça fait un bail (argot), il y a belle lurette (populaire : vient de belle heurette), ça fait des lustres (un lustre dure cinq ans).
Et v’là-t’y pas que je te retrouve sans crier gare !
v’là-t’y pas, familier.
► Voilà-t-il pas ou Ne voilà-t-il pas : marque la surprise
► sans crier gare - expression : sans prévenir, brusquement.
et je te le dis tout à trac
spontanément, franchement, sans détour
> Expressions françaises d'hier et d'aujourd'hui
tu n'as rien d'un estapafourbis
estapafourbis, mot que l'on m'assure se trouver dans le dictionnaire des mots sauvages de Maurice Rheims. Sommes-nous cosmopolissons, infinivertis, estapafourbis ?
Comprenne qui pourra !
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