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Sache, cher lecteur, toi qui as l'âme sensible et me plains assurément, que j'aurais bien aimé verser des pleurs sur mes amitiés perdues. N'avais-je pas vécu quelques moments trop tôt évanouis où j'avais joui de chaleureuses amitiés ? Ils me revenaient aujourd'hui en pensée. Ma vie n'avait commencé que depuis un an à peine — et quelle année ! — puisque j'avais perdu les traces de ma vie passée.
Alcmène, Lio, Sissi...
Que sont mes amies devenues
que j'avais de si près tenues et tant aimées...
L'amour est morte !*
Serait bien venu s'ajouter à ma liste le nom d'Afcofribas ; mais — ah, le traître ! — comment l'aurais-je pu souffrir, alors que j'éprouvais encore quelque rancoeur au seul ressouvenir de son nom ?
Il me fallait me refuser à me chanter quelque complainte quelle qu'elle fût.
Sur ce, je me ressaisis, et c'est vaillamment que je me dis à part moi : « Vis comme un homme brave ; et si la fortune t’est contraire, affronte-la avec un coeur empli de courage. »**
À l'évocation de ma chère Sissi, à qui j'avais promis fidélité, je me levai brusquement et me mis en route sur le champ pour la retrouver. Je n'avais que trop tardé.
Pourquoi donc ne l'avais-je pas encore vue depuis mon arrivée ? Je savais qu'elle hantait ces lieux, que son territoire était ici même. Elle aurait dû sentir ma présence, me voir, sinon me humer. M'avait-elle attendue trop longtemps, s'était-elle convaincue que je l'avais oubliée, et avait-elle, de guerre lasse°, quitté la place ? Je ne pouvais y croire. Je la savais bonne mère ; au grand jamais elle n'aurait pu abandonner ses chers petits : ni Sou, ni Ci, ni Souci.
Je n'aurais de cesse de la chercher que je ne l'eusse retrouvée.
Serait-elle, de par ma faute — oh, j'en tremble ! — morte de chagrin ?
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**« Vis comme un homme brave ; et si la fortune t’est contraire, affronte-la avec un coeur empli de courage. » Cicéron (-106 av.J.C..-43 av.J.C.)
Titre : Délires autour de mes amitiés tôt envolées
Cf. Littré - TÔT, adverbe de temps
Voltaire d'abord et des grammairiens après lui ont dit que tôt au positif n'était plus que du bas style, et qu'il ne s'employait guère que dans la locution : tôt ou tard. Mais ce mot est si commode, si bien autorisé par l'exemple de bons écrivains, qu'il doit être employé sans scrupule dans le style le plus élevé.
Quelques acceptions de tôt, entre autres :
Dans peu de temps, promptement.
Ami, vous m'avez tôt quitté. Molière, Le Menteur
j'aurais bien aimé verser des pleurs
> Ne pas confondre une larme, un pleur...
comment l'aurais-je pu souffrir
le pronom personnel LE (élidé en L') remplace la phrase précédente : comment aurais-je pu souffrir de l'ajouter à ma liste
J'éprouvais encore quelque rancoeur au seul ressouvenir de son nom
Ressouvenir, terme vieilli ou littéraire.
Cf. L'Académie 8e édition - Ressouvenir, Sentiment d'une douleur qui se renouvelle. Il y a des maux dont on n'est jamais si bien guéri qu'il n'en reste quelque ressouvenir.
Cf. l'Académie - Humer, faire pénétrer doucement un liquide dans la bouche en l'aspirant. Humer un bouillon. Humer l'air, humer le brouillard, etc., S'exposer à l'air, au vent, au brouillard, etc., de telle sorte qu'il entre, qu'il pénètre dans les poumons. Il signifie aussi, par extension, Aspirer par le nez. Humer l'encens. Humer l'odeur des mets, Les flairer avec complaisance.
Avait-elle, de guerre lasse, quitté la place ?
de guerre lasse°, abandonnant tout combat, toute résistance, parce qu'elle était trop fatiguée d'attendre.
> Mosaïque de quelques curiosités de la Langue Française
au grand jamais elle n'aurait pu abandonner ses petits
> Jamais, ne jamais, jamais plus, au grand jamais, à jamais, si jamais, oncques... + Adverbes et locutions adverbiales de temps
Je n'aurais de cesse de la chercher que je ne l'eusse retrouvée
Le NE (dans : je ne l'eusse retrouvée) n’est pas explétif et ne peut être supprimé.
NE explétif - Quand peut-on l'employer ? - sans que je ne - avant que je ne - je crains que tu ne - j'empêche que tu ne - je m'attends à ce que tu ne - je ne nie pas que tu ne..
Serait-elle, de par ma faute — oh, j'en tremble ! — morte de chagrin ?
Le rythme heurté de la phrase veut traduire l'émotion d'Oli, la narratrice, notre héroïne.
> Serait-elle morte de chagrin par ma faute ?
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