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Je dus m'agenouiller pour accéder à leur hauteur.
« J'ai l'air niaise », pensai-je.
J'exécrai cela. Je m'en tins à un seul bisou chacun, sur le front. Le groin m'eût débectée*.
« Et moi alors ! » s'écria la mère.
Et, sans attendre mon refus qu'intuitivement elle pressentit, elle se jeta amoureusement sur ma personne toute paralysée de confusion, et me bécota bruyamment. C'était sans compter ses deux quintaux que je reçus en pleine poitrine comme une bombe°. Nous roulâmes, comme enchaînées l'une à l'autre, jusqu'au bord d'une rivière en crue où la chute nous eût été fatale, mais la laie avisée écarta au dernier moment ses quatre pattes, ce qui la transforma en une plate-forme**, certes pas très plate, mais suffisamment pour que la roulade s'achevât. Forcées de faire contre mauvaise fortune bon coeur°, nous devînmes de vraies amies.
« Il serait temps de nous présenter, proposai-je. Appelle-moi Oli, du petit nom que j'ai choisi.
—Et moi Sissi, répondit impérialement la laie, et mes enfants, Souci, Sou et Ci. Quand je crie “Souci !”, Souci, Sou et Ci rappliquent ici.
—Pratique, le nom-valise, acquiesçai-je. »
La faim nous prit soudain par surprise. Il nous fallait d'urgence trouver quelque expédient. La truie fougea le sol de son solide boutoir et dénicha ce qu'elle put, les petits sucèrent goulûment ses tétins roses et généreux, j'avalai quelques baies non vénéneuses. Nous optâmes, repus, pour un repos nécessaire, après avoir prononcé doctement ces paroles hugoliennes : « Couchons-nous sur la terre et dormons*. »
La truie ne dormant pas, songeait tout près de moi aux effets salutaires de sa maternelle attitude.
Ahurissant non ?
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* "Couchons-nous sur la terre et dormons
Caïn ne dormant pas, songeait au pied des monts."
Cf. La Conscience dans la Légende des Siècles de Victor Hugo.
NOTES
Je dus m'agenouiller pour accéder à leur hauteur
Je dus, passé simple de devoir.
Voir l'article :
Ne pas confondre : du dû dus dut, due, dues, dût
J'ai l'air niaise, pensai-je.
ou
J'ai l'air niais
Avoir l'air
1-sembler, paraître. L'adjectif qui suit s'accorde avec le sujet si c'est une chose.
Ces objets ont l'air inanimés.
2- de même s'il s'agit d'une personne (on peut intercaler être)
Elle a l'air (d'être) idiote.
3- Si air signifie physionomie, mine, l'adjectif s'accorde avec air.
Elle a l'air sérieux (=son air est sérieux)
4- si air est suivi d'un complément, accord avec air.
Elle a l'air méchant d'une harpie.
> Mosaïque de quelques curiosités de la Langue Française
*le groin m'eût débectée (débecquetée, débequetée)
débecter, débecqueter, débequeter = dégoûter, répugner (argot)
► verbe au subjonctif plus-que parfait à valeur de conditionnel passé (2e forme)
le groin m'aurait débectée (1re forme)
Il m'aurait dégoûtée jusqu'à me donner envie de vomir.
► le participe passé s'accorde avec le complément d'objet direct au féminin M' (ME élidé) placé avant lui
> Règles de l'accord des participes passés
J'exécrai cela
EX ou EXC, se fier au son. Exister (gz) exciter (ks)
exalter, exécrer (= détester, abhorrer, abominer) exaspérer, exaucer, excès, exciser... et leurs dérivés, exaltation, exécrable, excitant, existence, excessif...
EXH exhaler, exhausser (=surélever, augmenter), exhéréder (=déshériter), exhiber, exhorter, exhumer, exhaure, exhaustif, et leurs dérivés, exhalaison, exhausteur, exhibitionniste...
c'était sans compter ses deux quintaux que je reçus en pleine poitrine comme une bombe
► un quintal, cent kilos.
► Comme une bombe, avec une grande soudaineté, sans qu'on s'y attende.
ou plateforme d'après la Nouvelle orthographe, orthographe réformée (1990)
Cf. Renouveau :
A | B | C | D | E | F | G | H | I | J | K | L | M | N | O | P | Q | R | S | T | U | V | W | X | Y | Z
La chute nous eût été fatale
conditionnel passé, elle nous aurait été fatale
nous devînmes de vraies amies
PASSE SIMPLE DE VENIR, TENIR et de leurs dérivés
nous vînmes, vous vîntes, nous tînmes, vous tîntes.
Nous contînmes notre joie, nous convînmes de nous taire.
— Pratique, le nom-valise, acquiesçai-je.
►
acquiescer (approuver) passé simple : acquiesçai-je, acquiesça-t-il
acquiescement
► Un mot-valise est un mot formé de deux mots accolés, parfois tronqués, histoire de faire un jeu de mots. En un seul mot, on peut dire deux choses à la fois.
Ex. franglais, tapuscrit, alicament... ou adoléchiant, merdiateur...
Lewis Caroll, (1832-1898) auteur de Alice in Wonderland, Alice au Pays des Merveilles a aimé faire des mots-valises.
"...there are two meanings packed up into one word " , explique-t-il.
... il y a deux sens empaquetés en un seul mot.
Son poème The hunting of the snark, La Chasse au Snark met en scène un animal fantastique, le snark, mot valise formé de snake et et de shark, serpent et requin.
En anglais "a porte-manteau word" qui vient du français porte-manteau, anciennement une valise à deux compartiments.
> Hapax, mots-valises, mots fantômes et autres mots étranges
il nous fallait trouver d'urgence quelque expédient
► un expédient, un moyen de se tirer d'affaire.
► Quelque, littéraire. Au singulier, un certain, un quelconque
après avoir prononcé doctement ces paroles hugoliennes
► docte, doctement - Parler doctement, savamment, comme un livre.
► hugoliennes : de Victor Hugo
Faire contre mauvaise fortune bon coeur
ne pas perdre courage devant les difficultés, se contenter de ce qu'on a.
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